Jean I de St Maard, le vicomte historien de Blosseville

Jean de St Maard (1436-1485) a rédigé entre 1472 et 1481 un manuscrit1« Manuscrit français N° 14553 : Chartres extraictes du cartulaire des religieulx, abbé et convent de Saint-Martin d’Aumale, et aussi de l’esglise de la Saincte-Trinité de Fescamp, et de l’esglise de la benoiste Marie-Magdalene de Rouen, et outre du prioré de Nostre-Dame d’Ouville, translatées de latin en françoys » : accès via Biblissima. qui est un document exceptionnel pour l’histoire de Blosseville du XI ème au XIV ème siècle. Avec son enquêteur Nicole Pintel, aumônier de Fécamp, ils ont lu des manuscrits dont aujourd’hui beaucoup sont à jamais disparus : leur transcription du latin en français reste donc notre unique source. 

Couverture du manuscrit ; « MAISON D’ALBEMARLE, BLOSSEVIL., D’ENNEVAL ET AUTRE DE NORMANDIE TIRE DE PLUS. CARTULA »
Maison d’Aumale, Blosseville, d’Esneval et autre de Normandie, tiré de plusieurs cartulaires. Bnf. m.fr. N° 14553 via Biblissima

La numérisation par la BnF du manuscrit français 14553 permet à tout un chacun de se plonger dans ces 54 feuillets. Ce manuscrit imbrique des documents distincts : (i) copie et transcription d’actes, (ii) synthèse de ces documents par Jean de St Maard soucieux de reconstituer la généalogie de ses prédécesseurs, (iii) lecture résumée de chroniques historiques, (iv) extraits de lettres de Nicole Pintel faisant part de ses découvertes et des réflexions qu’elles lui inspirent. 

« S’en suivent les teneurs de plusieurs chartes extraites des cartulaires des religieux abbé et convent de Saint Martin d’Aumale et aussi de l’église de la Sainte Trinité de Fécamp et de l’église de la Benoiste Marie Madeleine de Rouen et autre du prieuré de Notre Dame d’Ouville et translatées de latin en français ». Extrait du haut de la première page du m.fr. N° 14553 via Biblissima. m.fr.

Pierre Clairambault (1651-1740) avait transcrit ce manuscrit2BNF. Clairambault 1059. Mélanges généalogiques et historiques, classés par ordre alphabétique des noms de familles et de matières. folios 234-248 via Gallica. mais nous sommes redevables à Mr Mathieu Arnoux3Mathieu Arnoux. De la généalogie à l’histoire: le cartulaire-chronique du vicomte de Blosseville in Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie vol. 62, 1 (1994/97), 2003 p. 9-48. d’avoir sorti ce manuscrit des oubliettes, d’en avoir proposé une traduction avec un découpage en chapitres permettant de comprendre les différents types de documents, l’ensemble étant enrichi de notes et références.

Qui s’intéresse à l’histoire de la vicomté de Blosseville et à la famille de St Maard y trouve peu d’information sur le XVème siècle et les plus proches générations. Les deux exceptions d’évocation du temps présent «  a present vivant » sont pour la famille De Rambures  (folio 36) et les seigneurs et barons d’Esneval (folio 46 à 49). Jean I de St Maard n’a pas eu le souci de rapporter ce que ses contemporains savaient et encore moins de se raconter. Quel dommage ! 

Sa rigueur dans l’enquête, son souci d’envoyer Nicole Pintel chercher sur place les documents pertinents fait regretter ce qu’il n’a pas écrit ! Son savoir nous manque pour valider les hypothèses concernant le passage d’un toponyme initial « le fief de St Mards » au patronyme de St Maard4Avec les nombreuses variantes…allant de St Marc, St Mars, St Maart, St Maards…Nous avons opté pour St Maard qui est l’orthographe majoritaire rencontrée dans les documents (par exemple, quittances) signés par les membres de cette famille.. La filiation avec les « dit Ridel » et les Mauconduit est explicitement exposée. Quand Nicole Pintel constate que des manuscrits de St Maard sont scellés des armes des Mauconduit, il nous invite à retrouver les mêmes preuves ! 

Ce manuscrit est un guide et une incitation pour interroger, avec les moyens d’aujourd’hui, tous les cartulaires consultés par Nicole Pintel et Jean de St Maard. A titre d’exemple, l’analyse récente du cartulaire de Fécamp par Michaël Bloche5Michaël Bloche. Le chartrier de l’abbaye de la Trinité de Fécamp : étude et édition critique, 928/929-1190, postérité du fonds. 2019. 3 Tomes. Consultable aux ADSM : cote F 2255. permet à la fois de pointer les erreurs de dates qui émaillent ce manuscrit N°14553, mais aussi, de valider certaines des généalogies qui y sont proposées.

A côte des erreurs de transcription, il faut aussi pointer quelques erreurs imputables probablement aux sources consultées : ainsi, à l’évidence, plusieurs informations concernant les vicomtes d’Aumale sont fausses. 

A ces réserves près, l’analyse de tous les cartulaires examinés et la prise en compte de l’ensemble des individus cités, témoins compris, devraient permettre d’affiner notre connaissance des généalogies des vicomtes de Blosseville, en gardant à l’esprit les pistes évoquées par Nicole Pintel, à savoir la transmission « par les filles des maisons de St Martin le Gaillart, de Graville, d’Estouteville et autres » (folio 37).

Les témoignages concernant « les anciennes peintures, tombes et verrières » et les armes qui les ornaient sont précieux pour reconstituer les débuts de l’histoire de l’église de Blosseville et de Saint-Nicolas de Veules et cerner l’identité des premiers donateurs.

Il faut également souligner le temps passé par Jean de St Maard et son associé à lire les volumineuses chroniques de Guillaume de Jumièges (1000-1070) ou d’Orderic Vital (1075-1142), sans bénéficier d’index ou de notes qui aujourd’hui facilitent grandement la lecture des mêmes passages.

Enfin, rappelons l’intérêt suscité par ce manuscrit pour les enquêteurs qui cherchaient à déterminer l’identité de « Blosseville » le célèbre poète. Après avoir réfuté la piste Hugues de St Maard, grossière erreur d’homonymie, Jean I de St Maard fut en effet proposé6Pierre Champion. Remarques sur un recueil de poésies du milieu du XV ème siècle (B.N. fr.9223), Romania, 1922, 189, 106-114. comme l’auteur possible de cette oeuvre poétique : P. Champion fit cette hypothèse sans même avoir eu connaissance de ce folio 41, (ci., dessous) que Jehan de St Maard signa Blosseville le 6 mars 1477. 

« ainsi signé. blosseville » (3 derniers mots)
Jean de St Maard relate avoir demandé à l’abbé et aux religieux d’Aumale pourquoi ils n’ont plus les dîmes, lesquels lui répondirent que leurs devanciers en avaient été suffisamment récompensés. Extrait du folio 41 du manuscrit fr. 14553. mars 1477.

En dépit de cette signature, cette hypothèse « Jean de St Maard » a été réfutée notamment par Mme Angrémy7Annie Angremy. Un nouveau recueil de poésies françaises du XVe siècle : le ms. B. N. nouv. acq. fr. 15771. In: Romania, tome 95 n°377, 1974. pp. 1-53.  lui préférant celle de Rogerin Blosset, dont la généalogie est précisément évoquée par Jean de St Maard à la fin de son manuscrit, intrigué par la ressemblance du blason de Blosset avec celui de Roger de Blosseville (folio 51).

En conclusion, retenons qu’à défaut d’être le célèbre poète de la cour d’Orléans, Jehan I de St Maard nous a légué un manuscrit d’historien, ce qui n’est pas banal pour un militaire de l’arrière ban !

Références

  • 1
    « Manuscrit français N° 14553 : Chartres extraictes du cartulaire des religieulx, abbé et convent de Saint-Martin d’Aumale, et aussi de l’esglise de la Saincte-Trinité de Fescamp, et de l’esglise de la benoiste Marie-Magdalene de Rouen, et outre du prioré de Nostre-Dame d’Ouville, translatées de latin en françoys » : accès via Biblissima.
  • 2
    BNF. Clairambault 1059. Mélanges généalogiques et historiques, classés par ordre alphabétique des noms de familles et de matières. folios 234-248 via Gallica.
  • 3
    Mathieu Arnoux. De la généalogie à l’histoire: le cartulaire-chronique du vicomte de Blosseville in Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie vol. 62, 1 (1994/97), 2003 p. 9-48.
  • 4
    Avec les nombreuses variantes…allant de St Marc, St Mars, St Maart, St Maards…Nous avons opté pour St Maard qui est l’orthographe majoritaire rencontrée dans les documents (par exemple, quittances) signés par les membres de cette famille.
  • 5
    Michaël Bloche. Le chartrier de l’abbaye de la Trinité de Fécamp : étude et édition critique, 928/929-1190, postérité du fonds. 2019. 3 Tomes. Consultable aux ADSM : cote F 2255.
  • 6
    Pierre Champion. Remarques sur un recueil de poésies du milieu du XV ème siècle (B.N. fr.9223), Romania, 1922, 189, 106-114.
  • 7
    Annie Angremy. Un nouveau recueil de poésies françaises du XVe siècle : le ms. B. N. nouv. acq. fr. 15771. In: Romania, tome 95 n°377, 1974. pp. 1-53. 

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