Ce personnage Geoffroi alias Gauffridus est connu grâce au manuscrit publié par Jean de St Maard1« Manuscrit français 14553 : Chartres extraictes du cartulaire des religieulx, abbé et convent de Saint-Martin d’Aumale, et aussi de l’esglise de la Saincte-Trinité de Fescamp, et de l’esglise de la benoiste Marie-Magdalene de Rouen, et outre du prioré de Nostre-Dame d’Ouville, translatées de latin en françoys » : accès via Biblissima. à la suite des investigations menées par l’aumônier de Fécamp, Nicolas Pintel à St Gervais (paroisse de Rouen). Dans cet article, nous reprenons la chronologie de l’enquête, et datons cet acte grâce à l’analyse récente du manuscrit par M. Bloche2Michaël Bloche. Le chartrier de l’abbaye de la Trinité de Fécamp : étude et édition critique, 928/929-1190, postérité du fonds. 2019. 3 Tomes. Consultable aux ADSM : cote F 2255.. Un acte original supplémentaire permet d’assurer que nous tenons ici un témoignage du début du XII ème siècle évoquant Blosseville, sa terre et son église.
La découverte du manuscrit par Nicolas Pintel en 1473
N. Pintel écrit à son commanditaire Jean de St Maard « escript en haste a Fescamp ce XI ème jour de May »
…. « j’ay trouvé deux autres cyrographes3Le cyrographe = chirographe est un acte en deux exemplaires sur un même parchemin. Les deux textes identiques sont séparés par une ligne de grands caractères appelée devise (mots, suite de lettres…). Cette partie médiane est ensuite découpée droit ou en dents de scie afin de remettre à chacune des personnes ayant établi ce contrat un exemplaire en garantissant son authenticité. , l’ung de Geuffroy de Blosseville, qui est en l’an mil CC et VIII en baillant sa fille a Oudart, heritier de Neville, desgaiga sa terre de Neville, que l’esglise de Fescamp tenoit, et donna a icelle esglise la disme de quinze acres de terre, qu’il tenoit encores a Blosseville ….et avec ce le tesmonniage et aucunes autres choses a Saint Gervaiz prés Rouen…4Transcription par Mathieu Arnoux. De la généalogie à l’histoire: le cartulaire-chronique du vicomte de Blosseville in Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie vol. 62, 1 (1994/97), 2003 p. 9-48.»
N. Pintel rappelle à Jehan de St Maard qu’il lui avait apporté l’original, endommagé, mais que ce jour là Jean I de St Maard était absent, parti pour Dieppe.
« Et sont oud. cyrographe nommés plusieurs tesmoings mais pour ce que icelluy est dommagé en aucunz endroiz, ne l’ay point doublé mais l’avoye porté a Rouen nagueres pour vous le montrer, ou me fut dit que estiez alé a Dieppe »
Jehan de St Maard, soucieux de rendre hommage au travail fait par N. Pintel, fait part de ce texte :
« Par maistre Nicole Pintel, omosnier de Fescamp, a esté escript entre autres choses ce qui s’ensuit : « Longtemps aprés le trespas dud. Adzor, son fils ainsné Geuffroy de Blosseville, chevalier, accompagné de deux fils qu’il avoit, Ancherus et Nigellus, et Odart de Neville avec eulx, ouquel Oudart, led. seigneur donna sa fille en mariage, vindrent ensemble a Fescamp et, present l’abbé Rogier quart, en l’an mil CC et VIII, led. messire Geuffroy, pour le salut de son ame et de ses predecesseurs et successeurs, ainsy que contient expressement l’ancien cyrographe estant au tresor dessusd., donna a lad. esglise et abbaye la disme de xv acres5Acre : de l’ancien scandinave akr « champ cultivé, terrain à labourer ». A défaut de savoir précisément la surface d’une acre à l’époque, car elle a varié au cours du temps, retenons comme approximation 4000 m2, soit pour les 15 acres l’équivalent de 6 hectares. de terre en lad. paroisse de Blosseville, qui tenoit encores en sa main et avec ce une droicture ou coustume qu’il avoit sur les autres dismes d’icelle esglise aud. lieu que on appelloit le thimonnage6Thimonnage = timonnage est un (droit coutume) relatif au transport., et de ce fist oblacion7Oblacion = oblation désigne le rituel de l’offrande consistant à déposer sur l’autel par les deux fils deux bâtons de coudre (bois de coudrier) portant l’inscription de cet acte. sur l’autel de la Trinité par les mains de ses deux filz dessus nommés en deux batons de couldre ou ce estoit escript » .8Folio 11, du m.fr.14553, VIII dans annexe de M. Arnoux et N° 124 p 339-341 dans T II de M. Bloche (op. cit. ).
Analyse critique de la date du manuscrit.
L’argument principal de M. Bloche pour réviser la date est « present l’abbé Rogier quart » : l’abbé est donc Roger de Bayeux, « quart » est explicite, il s’agit du quatrième abbé de Fécamp du 21 décembre 1107 au 22 mars 1139. De plus, l’oblation par la déposition d’objets de tradition (ici les bâtons de coudre) était plus une pratique du XII ème siècle que du XIII ème. Enfin, les noms latins « Ancherus et Nigellus » sont rares au XIII ème alors qu’on les rencontre fréquemment au début du XII ème siècle. Ainsi, il est probable que la date insérée soit une erreur comme observé dans d’autres actes de ce manuscrit N° 14553 : l’année serait donc 1108.
Gauffridus de Blossevilla, témoin en 1106
Une archive particulièrement importante pour conforter la datation au début du XII ème siècle est une charte de 1106 dont l’original, restauré, est conservé aux archives de Caen. Il s’agit de la charte de restitution par l’abbé de Fécamp, Guillaume de Rots (troisième abbé, de 1078 au 26 mars 1107), à Gilbert de Mondeville, d’un terrain à Argences (Calvados) pour y construire un moulin, à la condition que l’abbaye perçoive la moitié de la mouture 9Acte N° 119 dans l’édition de M. Bloche TII, p.330-332.. Gauffridus de Blossevilla est témoin parmi d’autres dont Willelmus Malus Conductus, alias Guillaume Mauconduit.
La lecture de gauche à droite, ligne en gros caractères /ligne supérieure, est la suivant10Pour la traduction, voir l’Edition de M. Bloche. N° 119, in thèse, op. cit., tome II. p 330-331. : Willmus. = Willelmus /mal con.uctus = malus conductus : Guillaume de Mauconduit ; Hugo / de Siletot ; Hugo filius Audoeni ; Gauffridus/ de blossevilla : Geoffroi de Blosseville.
Il semble donc logique, eu égard aussi à l’identité des autres témoins, de considérer que Geoffroi de Blosseville et Gauffridus de Blossevilla étaient bien la même personne au début du XII ème siècle. Dans l’arbre généalogique, ci-dessous, à partir du manuscrit de Jean de St Maard, Geoffroi = Geuffroy de Blosseville = Gauffridus, est qualifié de vicomte.
Références
- 1« Manuscrit français 14553 : Chartres extraictes du cartulaire des religieulx, abbé et convent de Saint-Martin d’Aumale, et aussi de l’esglise de la Saincte-Trinité de Fescamp, et de l’esglise de la benoiste Marie-Magdalene de Rouen, et outre du prioré de Nostre-Dame d’Ouville, translatées de latin en françoys » : accès via Biblissima.
- 2Michaël Bloche. Le chartrier de l’abbaye de la Trinité de Fécamp : étude et édition critique, 928/929-1190, postérité du fonds. 2019. 3 Tomes. Consultable aux ADSM : cote F 2255.
- 3Le cyrographe = chirographe est un acte en deux exemplaires sur un même parchemin. Les deux textes identiques sont séparés par une ligne de grands caractères appelée devise (mots, suite de lettres…). Cette partie médiane est ensuite découpée droit ou en dents de scie afin de remettre à chacune des personnes ayant établi ce contrat un exemplaire en garantissant son authenticité.
- 4Transcription par Mathieu Arnoux. De la généalogie à l’histoire: le cartulaire-chronique du vicomte de Blosseville in Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie vol. 62, 1 (1994/97), 2003 p. 9-48.
- 5Acre : de l’ancien scandinave akr « champ cultivé, terrain à labourer ». A défaut de savoir précisément la surface d’une acre à l’époque, car elle a varié au cours du temps, retenons comme approximation 4000 m2, soit pour les 15 acres l’équivalent de 6 hectares.
- 6Thimonnage = timonnage est un (droit coutume) relatif au transport.
- 7Oblacion = oblation désigne le rituel de l’offrande consistant à déposer sur l’autel par les deux fils deux bâtons de coudre (bois de coudrier) portant l’inscription de cet acte.
- 8Folio 11, du m.fr.14553, VIII dans annexe de M. Arnoux et N° 124 p 339-341 dans T II de M. Bloche (op. cit. ).
- 9Acte N° 119 dans l’édition de M. Bloche TII, p.330-332.
- 10Pour la traduction, voir l’Edition de M. Bloche. N° 119, in thèse, op. cit., tome II. p 330-331.