Cet article décrit la vie de Nicolas JOUTET et sa famille. Vicaire puis curé de Blosseville de 1778 jusqu’à sa démission au début de l’année 1794, il devient alors un « citoyen cultivateur » du village pour reprendre officiellement ses fonctions à la tête de la paroisse de 1803 jusqu’à son décès en 1813. Les changements dans sa vie illustrent les profondes mutations de la société, et notamment le bouleversement des relations entre l’ Etat et l’Eglise. Dans le texte ci-dessous, les quelques éléments du contexte sont écrits en couleur corail.
Nicolas JOUTET et sa famille
Nicolas JOUTET est issu d’une famille de laboureurs. Il naît à Veules le 13 juin 17481ADSM Veules St Martin, 4E 3347, vue 73/98. fils de Pierre, laboureur et de Marie Anne GRANDSIRE mariés à Veules le 6 Juin 17412ADSM Veules, 4E 3346 (1740-1743), vue 27/67.. Son parrain est Nicolas VATTEMENT fils de Nicolas, laboureur de la paroisse de Veules et sa marraine Anne LIEURY, fille de Jacques, laboureur à Manneville-es-plains.

H. = Henriette, X = union ; Italique : sexe féminin ; * selon l’âge au décès.
Il est le quatrième d’une fratrie de sept3Les dates de naissance sont respectivement à Veules Pierre Jacques le 29/04/1742 4E 3346, vue 39/67 ; Marie Madeleine le 29/04/1744, 3E 514 (1740-1744), vue 67/72 ; Marie Catherine Henriette le 9/02/1746, 4E 3347 (1744-1750), 30 vue /98 ; Adrien Etienne le 14/01/1750 (1750-1751), vue 3/38 ; Jacques Alexis le 19/07/1753, relevé généacaux ; Charles Adrien le 13/05/1756, 4E 3347 (1755-1759), vue 32/92.. Le 26 mai 1768 sa grand-mère Marie-Jeanne PETIT SEIGNEUR, la seule qu’il a connue de cette génération, décède à Manneville es plains, âgée de soixante-seize ans4ADSM Manneville es Plains 4E 306 (1760-1769), vue 95/114..
Le 29 septembre 1771, sa soeur Marie Madeleine, âgée de 27 ans, décède et est inhumée dans le cimetière de l’église St Martin de Veules5ADSM Veules 4E 3348 (1770-1774), vue 35/88..
Le 29 juillet 1773, son frère Adrien épouse Marie Madeleine ALLAIS à Blosseville, les trois frères Pierre, Nicolas et Charles signent l’acte de mariage6Blosseville 4E 3088 (1770-1779), vue 66/182.
Le cursus clérical de Nicolas JOUTET
Les débuts
A Pâques 1766, dans sa dix-huitième année, par la cérémonie de la tonsure, l’évêque en lui coupant les cheveux au sommet de la tête, l’admet dans le premier degré de la cléricature.

A Pâques 1773, il reçoit les ordres mineurs, qui étaient au nombre de quatre (par ordre ascendant : portier, lecteur, exorciste, acolyte).

De sous-diacre (1774) à curé de Blosseville (1780)
En 1774, il est ordonné sous-diacre à Veules.

Les évènements familiaux permettent de documenter comment Nicolas JOUTET progresse dans la carrière.
Le 14 février 1775, il est sous diacre lorsque sa soeur Marie Catherine Henriette décède à Veules, âgée de 29 ans : l’acte d’inhumation atteste de la présence de leur père et d’Adrien son frère. Ce dernier, âgé de 25 ans, laboureur à Blosseville, décède deux semaines plus tard (cf., ci-dessous)7ADSM,Veules 4E 3348 (1775-1779), vue 6/111. Adrien le 1er mars 1775 : ADSM Blosseville 4E 3088 (1770-1779), vue 94/182..

En 1776 il est vicaire à La Gaillarde lorsqu’il signe l’acte de mariage, le 10 juillet, entre son frère ainé Pierre Jacques et Marie Françoise Catherine Elisabeth DE LAPLACE, fille d’un marchand aubergiste de Charleval (Eure). Michel LE PASTEUR, curé de Sotteville-sur-mer a également fait ce déplacement de cent kilomètres pour célébrer la cérémonie8AD 27, Charleval, BMS (1763-1792), vue 113/293.. Nicolas reste vicaire à la Gaillarde de 1776 à 17789ADSM La Gaillarde 4E 3167 (1770-1779), vues 74, 93-94-95/114. puis rejoint Blosseville.
Le trois août 1778, il signe le registre de Blosseville en qualité de vicaire.
Sa première signature en tant que curé date du 31 août 1780. Il succède à Jacques Romain QUINEL qui décède à Blosseville le 29 Octobre 178010ADSM Blosseville, 4E 3088 (1770-1779), vue 146/182 et (1780-1789), vue 14/146 ; décès Jacques Romain QUINEL, vue 16/146..
Le mardi 22 Octobre 1782, il célèbre, en l’église de Blosseville, le mariage de son frère « Jacques Alexis JOUTET marchand laboureur âgé d’environ 28 ans » et « Marie Catherine DUVAL âgée d’environ 26 ans fille de feu Nicolas et de Marie REQUIER marchande ainsi que la future, ses père et mère de la paroisse de St Valery en Caux »11ADSM Blosseville 4E 3088 (1780-1789), vue 47-48/146..Il avait célébré leurs fiançailles le dimanche précédent en l’église de St Valery en Caux avec le consentement du curé PICHARD de la VISSIERE12Antoine Julien PICHARD DE LA VISSIERE (1739-1799), prêtre déporté en 1798, mort à St Martin de Ré, cf., Francis RENOUT « le clergé et la révolution » sur le site de Généacaux mis en ligne en 2019. .

1 ère Ligne : Jacques alexis JOUTET Marie Catherine DUVAL ; 2ème L, Pierre JOUTET père, Marie REQUIER veuve DUVAL ; 3 ème L, Pierre JOUTET (frère ainé) Pierre JOUTET (cousin), François DUVAL (cousin germain de l’épouse) ; 4 ème L, Charles FAUCONNET, marchand de St Valery, oncle de l’épouse , Pierre COTTARD, PICHARD, Curé ; 5 ème L. GRESSENT, JULIEN ?, B. CAPRON ; dernière L., Jean DUVAL, JOUTET, curé de Blosseville. Montage p. 48, bas G et haut D, ADSM, 4E 3088, vues 47-48/146.
Le 8 Avril 1789, son frère Jacques Alexis décède à Veules13ADSM Veules St Martin 4E 3348 (1785-1789), vue 109/123..
Le 19 Avril 1789, il signe avec son frère aîné, l’acte d’inhumation de leur père. Maître Jean-Baptiste BILLARD prêtre de Manneville es plains, doyen de l’exemption de Fécamp, vient à Blosseville pour procéder à la cérémonie en présence de Jacques Louis NÉE, chapelain.
Nicolas JOUTET au temps de la Révolution
Traditionnellement la Révolution française comprend les dix années entre le 5 mai 1789 (début des Etats généraux) et le coup d’état de Napoléon Bonaparte du 9 Novembre 1799 (18 Brumaire de l’an VIII) mettant fin au Directoire.
Le clergé à Blosseville en 1789
La place du clergé dans la paroisse de Blosseville en Janvier 1789, est résumée dans cette liste des exemptés et privilégiés (cf., ci-dessous) pour le paiement de la taille (impôt direct). Nicolas JOUTET est en tête de liste. Les deux chapelains sont Jean DUTOT (1728-1799) et Jacques Louis NÉE (1750-1822) dont les destins vont prendre des directions opposées ; le premier mourra exilé loin des siens à Londres, le second finira sa vie à Sotteville sur Mer.

Nicolas JOUTET curé et officier municipal (1790-1792)
Le 14 février 1790, Nicolas JOUTET préside l’assemblée du village réunie dans l’église pour l’élection du premier conseil général de la commune ; il est ainsi, comme Jacques Louis NÉE, un des cinq officiers municipaux élus alors que Jean DUTOT est élu parmi les douze notables. Ce premier conseil sera remplacé à la fin de 1792.
L’ Assemblée Constituante avait décrété en Novembre 1789 que les biens du clergé étaient mis à disposition de la Nation. En conséquence ces biens devaient être évalués.
Ainsi, le 18 Avril 1790, en leur qualité d’officiers municipaux, Nicolas JOUTET et le chapelain NEE participent et signent l’estimation des biens et revenus des ecclésiastiques lors d’une séance du conseil. A titre d’exemple, (cf., ci-dessous), les biens et revenus du curé.

L’origine du mot dîme est issue du prélèvement d’un dixième de la récolte, mais cette portion variait selon les territoires. En pays de Caux, le prélèvement était d’un onzième (en pratique, une botte sur onze). Plusieurs types de dîmes ecclésiastiques sont évoqués ci-dessus. Les grosses dîmes concernaient les quatre gros grains (froment, seigle, orge, avoine). Les menues dîmes se percevaient sur les fruits qui se consommaient en vert (pois, vesces, fèves). Le prélèvement se faisait sur le lieu de la récolte. Les dîmes novales (nouvelles) concernaient des terres qui avaient été défrichées depuis moins de vingt ans. Initialement, ces dîmes avaient pour objectif d’assurer la subsistance des ecclésiastiques, l’entretien des bâtiments religieux et de soulager la pauvreté. Les dîmes furent abolies par le décret du 4-11 Août 1789, mais un délai était prévu pour leur remplacement. Le décret du 22 Avril 1790, article 3 précisait qu’elles ne seraient plus perçues à partir de Janvier 179114Albert SOBOUL. Dictionnaire historique de la révolution française. Quadrige. PUF. 2021. Article Dîme par J-J CLÈRE.
Nicolas JOUTET, curé et fonctionnaire : 1790-1793
Le 12 Juillet 1790, l’Assemblée Constituante vote la Constitution civile du clergé. Les prêtres deviennent des fonctionnaires dépendant de la tutelle de l’Etat qui leur verse un salaire (1200 livres minimum par an pour un curé). En Novembre 1790, un serment leur est imposé.
Nicolas JOUTET et les deux chapelains ont dû prêter ce premier serment constitutionnel qui stipulait notamment de « faire allégeance à la Nation, à la loi et au Roi… de maintenir la Constitution décrétée par l’Assemblée Nationale et par le Roi ». Un document atteste des 1900 livres allouées à Nicolas JOUTET en 1792 (cf., ci-dessous).

Le registre des années 1790-1791 révèle que Nicolas JOUTET réalise la très grande majorité des baptêmes (quarante-trois), inhumations (trente-deux), mariages et bans (quatorze) de Blosseville, alors que Jacques Louis NEE n’en réalise respectivement que sept, trois et un. Pendant ces deux années, Jean DUTOT, le premier chapelain baptise seulement, le 29 Octobre 1791, une enfant ondoyée à domicile15ADSM, Blosseville 4E 3038, vue 22/24.
Le 22 Juillet 1790, Marie Françoise Rose, fille de Jacques Alexis et Catherine DUVAL décède à l’âge de 3 ans. Nicolas JOUTET officie lors de l’ inhumation de sa nièce avec le consentement du curé de Veules, Adrien CORRUBLE. Pierre JOUTET et Pierre Eustache SIMON, drapier, respectivement oncle paternel et maternel de l’enfant, sont les deux témoins16Archives de Veules au cercle généalogique de Caux, Fontaine le Dun..
En 1791, Nicolas JOUTET bénit une cloche nommée Marie par Mr Benigne PORET de Blosseville et Dame Marie Henriette DE CIVILLE son épouse, en présence de Jean Baptiste CORRUBLE trésorier de la Fabrique et Claude CHARTON fondeur17Mémoires de l’abbé Brumare, chapitre IV, transcription par l’abbé HUET, ADSM 22 J 119, p. 174.
Le début de l’année 1793 marque la transition entre l’ancien registre paroissial et le nouveau registre d’état civil. L’exemple ci-dessous illustre la coexistence de la signature des prêtres et des officiers de l’état civil de la nouvelle municipalité lors de l’inhumation de la mère de Nicolas JOUTET. Les actes suivants ne comportent que la signature des officiers civils.

Au premier trimestre 1793, comme Jacques Louis NÉE, à la fois chapelain de Blosseville et curé de Mesnil-Durdent, Nicolas JOUTET semble avoir touché son traitement de prêtre assermenté (cf., ci-dessous).

Le 13 Avril 1794 le curé Nicolas JOUTET démissionne : il devient cultivateur
Nicolas JOUTET va remettre officiellement sa démission parce que l’autorité se fait pressante afin que les situations soient régularisées.
L’ arrêté du représentant du Peuple SIBLOT, en date du 7 Avril 1794 (18 Germinal an II), exige que la situation des prêtres démissionnaires soit expressément établie18Claude SIBLOT (1752-1801), médecin et maire de Lure (Haute-Saône) est député de Haute-Saône à l’Assemblée Nationale Constituante en 1791, puis à la Convention Nationale en septembre 1792. Le représentant du peuple SIBLOT arrive en mission pour l’Eure et la Seine Inférieure en février 1794. (cf., ci-dessous).

Nicolas JOUTET remet sa démission à la municipalité qui transmet au district de Cany :

Le 18 Août 1794 (27 Thermidor an II), Nicolas JOUTET, cultivateur est témoin au décès de sa belle-soeur

L’administration tient à jour le registre de ses fonctionnaires. Ainsi, à la date du 16 août 1794 (29 thermidor an II), « l’état nominatif des ecclésiastiques qui ont abdiqué leur état et fonctions », mentionne en regard du N° 58, « JOUTET ex curé de Blosseville, âgé de 46 ans ». Aucun secours ne lui est octroyé (cf., ci-dessous).

1794-1802 : Nicolas JOUTET cultivateur
L’extrait suivant est copié des Mémoires de l’abbé BRUMARE (1823-1870)19Narcisse-Adolphe Brumare naît à Fauville le 16 octobre 1823.Ordonné prêtre en septembre 1848, il est vicaire pendant huit ans à Eu. En 1856, il est professeur d’histoire au petit Séminaire diocésain. L’archevêque lui confie la paroisse de Blosseville en 1860. Il rédige ses mémoires pour répondre à la sollicitation de Henri de Bonnechose (1800-1883), archevêque de Rouen en 1858, cardinal en 1863 qui sollicite ses desservants afin qu’ils rédigent les annales de leurs paroisses. En 1869, le curé Brumare rejoint la paroisse de St Laurent en Caux où il décède le 21 décembre 1870. Source : la semaine religieuse du diocèse de Rouen. 4 ème année, N°42, samedi 7 janvier 1871, p 999. via Gallica. 20Mémoires de l’abbé Brumare par l’abbé HUET : ADSM 22J 119, chapitre IV p. 172-173., rédigées en 1864 alors qu’il est curé de Blosseville. Il a pu interroger les anciens ayant connu le curé JOUTET dans leur prime jeunesse ou qui avaient entendu leurs parents parler de cette période de la Révolution.
« …L’abbé Joutet fut obligé comme les autres de céder à la tempête, il ne sortit pas néanmoins de la paroisse, il se retira dans une petite ferme qui lui appartenait et que l’on voit encore aujourd’hui. Ce fut là que pendant treize ans il fut obligé de s’adonner à l’agriculture, entouré de ses neveux en bas âge, vivant très respecté au milieu de ses paroissiens. On ne dit pas qu’il ait prêté serment à la Constitution civile. Il allait à cheval aux foires et aux marchés avec culotte de daim, veste ronde, chapeau à grand bord cheveux en longue tresse, à la manière bretonne. Si vous voulez le connaître, il était haut de taille, d’un majestueux embonpoint, peu propre à la chaire, quoiqu’il jouit d’une belle voix pour chanter. Son caractère était si doux et son visage si ouvert qu’il était pour tous d’un accès facile. Il exerçait la médecine, non par amour du gain, mais par cette pente naturelle qui le portait à faire du bien, surtout envers les pauvres. Il avait composé un breuvage avec des herbes, que les vieillards d’aujourd’hui appellent encore la médecine JOUTET. Il y en avait toujours une bouteille préparée sur la cheminée, à l’intérieur de la maison et quand un malade venait se plaindre, on lui en donnait un verre à boire et il s’en retournait à moitié guéri tant par la vertu de la tisane que par la douceur des paroles qui sortaient de la bouche du pasteur médecin. Par l’ensemble de ces qualités le bon curé finit par se faire tendrement aimer de tous… ». La petite ferme encore visible en 1864 est probablement celle située sur le plan de 1827 (cf., ci-dessous).
Nicolas JOUTET, propriétaire
Nicolas JOUTET va pouvoir endosser un statut de cultivateur parce qu’il possède plusieurs biens dans la commune. Différents actes entre 1781 et 1798 permettent de localiser ses biens dans le secteur Ouest de Blosseville, proches du carrefour des quatre vaux, distribués au Nord et au Sud de l’actuelle rue du fond de Tumpot (cf., illustration ci-dessous)21En plus des actes signés par Nicolas JOUTET, certains des biens sont cités en limites de ceux appartenant à PORET de Blosseville. Etat des immeubles ADSM 132 J 177, le 26 Fructidor an IV (12 Septembre 1796).
Le 23 juin 1781, il achète en l’étude de maître CURAY, notaire à Rouen à noble personne Dorothée DEPARDIEU veuve de Messire Louis LE VASSEUR, une pièce de terre « en labour assise en la paroisse de Blosseville trait du Tumpot, terroir des quatre fossés, contenant cinq vergées ». Cette pièce de terre est incluse dans une pièce de sept acres, trois vergées tenues par Adrien BARAY, laquelle appartient au fief de la Couronne, un des nombreux fiefs dont Bénigne PORET de Blosseville est le seigneur. Le 23 janvier 1782, un acte devant Louis François Philippe FOLLIN (1730-1787), lieutenant général de la vicomté et haute justice de Blosseville, sénéchal de la seigneurie de la Couronne, fixe à « 27 sols par chacun an aux termes de Pâques et St Michel par moitié et une mine d’orge au jour de St Michel » les droits dûs au dit BARAY.22ADSM 2 E8/810 vue 432/796 et 2 E8 /80 1p r/v. ; ADSM 132 J 179. BARAY est parfois orthographié BARRÉ.

Nous savons qu’il possède une masure par un acte du juge de paix. Le 20 Octobre 1792, Guillaume ARNOIS de CAPTOT devant François Bernard REVEL, juge de paix du canton de Veules, accuse Nicolas JOUTET : « dans le courant de l’année dernière le dit JOUTET se serait permis sans droit ni qualité de faire construire un fossé sur les confins d’une masure qu’il possède… et sur lequel fossé le dit curé a fait planté des arbres de haute futaie »23ADSM LP 8227 : Justices de paix ; Veules, minutes diverses. 1992 N° 216..

Devenu cultivateur, Nicolas bénéficie de la proximité de son frère ainé (Pierre Jacques) laboureur, qui « tient une maison masure de Mr de Blosseville dix huit acres de terre, une charrue chevaux, vaches, imposé à 81 livres »24ADSM C. 1754. Rôle d’assiette de la taille, établi le 6 Janvier 1789, folio 6 recto. Le Mr de Blosseville désigne ici Bénigne PORET..
Nicolas possède également des biens ailleurs, notamment à Manneville. Ainsi, le citoyen JOUTET « vivant de ses revenus » vendra le 11 Août 1799, (24 Thermidor an VII), pour trois cent francs « en numéraire métallique » au citoyen Jean-Baptiste SAVOYE une pièce de terre d’un demi acre en labour située sur la commune de Manneville–es -plains25ADSM registre LP 7032, étude de Maître LE BARBIER, à St Valery en Caux, 26vue 53/59 et minutes 2E 94/5, acte N° 282..
1795 : Nicolas JOUTET récupère ses lettres de prêtrise mais reste cultivateur
Une lettre du directoire du département de Seine Inférieure datée du 8 Messidor de l’an III (26 Juin 1795), autorise le district de Cany à restituer les lettres de prêtrise qui y avait été déposées (cf., ci-dessous).

« Par votre lettre du 28 du mois dernier vous nous demandez si vous pouvez sans inconvénient rendre les lettres de prêtrise déposées en votre secrétariat en vertu de l’arrêté pris le 18 Germinal an 2 par le représentant du peuple SIBLOT. Cette question nous semble résolue par les lois qui permettent le libre exercice du culte et nous ne connaissons pas d’ailleurs de motif suffisant pour nous déterminer à conserver plus longtemps un dépôt arraché par la terreur. Nous pensons donc que la restitution ne peut vous compromettre sous aucun rapport. Salut et Fraternité ». ADSM L. 5915.
Dans un registre, on trouve une succession de textes identiques recopiés et signés individuellement stipulant que cette restitution a été effective pour Nicolas JOUTET et ses collègues démissionnaires (cf., ci-dessous).

Cette référence à la liberté du culte, justifiant de rendre aux prêtres leurs lettres de prêtrise, est conforme à la loi du 21 Février 1795 (3 Ventôse de l’an III) qui proclamait la séparation de l’Église et de l’État. En réalité, à l’été 1795, au moment où Nicolas JOUTET récupère ses lettres, la situation se tend notablement et de nouvelles mesures de rigueur sont rapidement décrétées. Le 29 septembre 1795 (7 Vendémiaire an IV) un nouveau serment est exigé promettant notamment « une soumission et obéissance à toutes les lois de la République », ceux qui auraient exercé ce culte sans avoir prêté ce serment seraient punis de prison…avec en cas de récidive, dix ans de fers. Etaient interdits, toute réunion de plus de dix personnes, tout port de costume particulier, tout emblème religieux, toute dotation ou donation pour l’entretien d’un culte27Michel BIARD, Philippe BOURDIN, Silvia MARZAGALLI. La Révolution française et les cultes p. 343-410 in Révolution, Consulat Empire. Folio Histoire de France. Gallimard 2021. Jean-René SURATTEAU. Le Directoire avait-il une politique religieuse ? in Annales historiques de la Révolution française, n°283, 1990. pp. 79-92. .
1798 : Le portrait de Nicolas JOUTET, 50 ans, citoyen cultivateur
La loi de vendémiaire an IV (Octobre 1795) rendit obligatoire le passeport pour toute personne voyageant en dehors des limites du canton.
Ce passeport révolutionnaire nous offre une description du personnage.

N° 351. « Délivré un passeport au citoyen Nicolas JOUTET cultivateur en la commune de Blosseville, âgé de 50 ans, taille 5 pieds ? P (pouces) cheveux et sourcils gris yeux idem nez long bouche ordinaire menton large front haut visage ovale. Inscrit au tableau de la commune N° 266. Lequel a déclaré savoir signer. Visé du citoyen le même jour allant à Rouen Dieppe St Valery Fécamp et Havre ».
On note que sa signature a changé avec mention abrégée de son prénom. ADSM L 5037.
Selon ce passeport, la taille de Nicolas JOUTET se limite à 5 pieds (soit environ 1,65 m), alors que les souvenirs collectés (cf., supra) évoquaient un Nicolas JOUTET « haut de taille ». Une autre source serait nécessaire pour situer la vérité ! Quant aux raisons des déplacements allégués dans les principales villes du département, elles mériteraient d’être connues !
1798 : Que devient le presbytère ?
Le presbytère d’alors comprenait la maison presbytérale, des granges, des bâtiments, un pressoir de construction récente et des terres associées. Le devenir spécifique de chacune de ces composantes dépasse le cadre de cet article. Retenons qu’en Juillet 1798, la situation de ces biens nationaux est contrastée.
D’une part, les bâtiments ruraux, la cour et le jardin du presbytère sont proposés en fermage par adjudication à la chandelle et attribués au citoyen JULIEN pour la somme de cinq francs (cf., ci-dessous). Pierre Jacques JULIEN (1755-1826) réside à Blosseville, après avoir été clerc puis greffier de la paroisse devenue commune ; il est désormais le secrétaire en chef du Canton de Veules.

Par le commissaire du Directoire a été requis du premier feu lequel allumé par le citoyen JULIEN demeurant en la commune de Blosseville a été offert la somme de cinq francs ». 11 juillet 1798 (23 messidor an VI). ADSM 1 QP 1489.
D’autre part, la situation de la maison presbytérale, elle-même, justifie que JULIEN adresse un courrier aux administrateurs du département de la Seine Inférieure : « il existe citoyens dans la commune de Blosseville le ci-devant presbytère du d. lieu qui ne présente plus qu’un amas de ruines. Il répugne à tout vrai citoyen de voir piller les propriétés du gouvernement d’une manière aussi révoltante, les portes, les croisées, les fondements disparaissent tous les jours jusque qu’à ce que des bâtiments sont attaqués maintenant et ne sont plus susceptibles d’aucune réparation… ». Ce courrier déclenche une procédure administrative (procès verbaux, estimations…), (cf., ci-dessous) qui se terminera par une mise en vente des débris.

29 juillet 1798 (11 Thermidor an VI) : ADSM 1 QP 1489.
1803-1813 : Nicolas JOUTET, prêtre desservant de Blosseville
La ratification du Concordat le 15 Août 1801 (26 Messidor an IX) entre le Premier Consul BONAPARTE et le Pape PIE VII porte sur la liberté de culte de la religion catholique « religion de la majorité des français » : en échange de la nomination des archevêques et des évêques par le Premier Consul, les évêques, les curés et les desservants sont rémunérés par la République. Le clergé doit prêter serment de fidélité au gouvernement. Ce régime concordataire est mis en oeuvre par les articles organiques du 8 Avril 1802 (18 Germinal an X)28Textes du Concordat et articles organiques disponibles sur le site d’histoire de la Fondation Napoleon : napoleon.org.
Une paroisse, avec son curé, est alors établie dans le lieu d’une justice de paix, et comporte plusieurs succursales. Ainsi, Blosseville est désormais une succursale et l’ancien curé porte désormais le titre officiel de prêtre desservant.

Le premier registre de catholicité (cf., ci-dessus), dont on dispose pour Blosseville est commun avec la paroisse Saint-Martin de Veules. Il concerne uniquement les baptêmes du 12 Juin 1800 (23 Prairial an VIII) au 1er mars 1802. Nicolas JOUTET n’y figure pas, le curé qui signe la majorité des actes est Adrien CORRUBLE (1728-1809), secondé par Robert SAINT SAENS (1732-1811).
Le 14 février 1803 (25 Pluviose an XI), c’est en qualité de prêtre que Nicolas est témoin de l’acte de naissance (état civil) de sa nièce, Catherine Francoise JOUTET, fille née du remariage son frère ainé avec Catherine Françoise BUNEL 29ADSM Blosseville, mariage le 30 décembre 1798, 4E 771 (1798-1799), vues 9-10/69 et acte de naissance de Catherine, 4E6441 (1801-1803), vue 40/65.

Les 7 et 9 Octobre 1804, sur la première page du registre de catholicité, Nicolas JOUTET, en qualité de prêtre desservant, signe l’acte d’inhumation d’Anne SENAY, épouse de Nicolas SANSON puis l’acte du baptême d’Elisabeth Reine SANSON (cf., illustration ci-dessous). Il signe tous les actes de ce registre qui s’arrête le 10 janvier 1806. Il semble ainsi reprendre sa signature initiale.

Le 10 Août 1809, Nicolas JOUTET préside à l’inhumation de l’ancien curé de Veules Adrien CORRUBLE, âgé de 81 ans. Il en fait l’éloge en présence de ses neveux Pierre BOURG et Jacques DESFRESNE30Chaignet D. Jean-Marie LEBAY (1761-1834), curé de Veules ou le voyageur malgré lui. Editions ASPV. 2017, p. 165/271. ADSM, 4E 7703 (1807-1809), vue 97/112.
Nicolas JOUTET décède le 7 Janvier 1813, déclaration faite par son frère Pierre âgé de 70 ans et par Guillaume COLLE, l’instituteur. Deux jours plus tard, c’est le curé de St-Valery qui célèbre l’inhumation « Aujourd’hui samedi 9 janvier 1813 a été par discrète personne Maître PETIT SEIGNEUR, curé de la paroisse et canton de Saint Valery en Caux soussigné inhumé dans le cimetière de la paroisse de Blosseville le corps de de discrète personne Maître Nicolas JOUTET prêtre desservant de la commune de Blosseville âgé de soixante-cinq ans fils de feu Pierre et Marie GRANDSIRE ses père et mère, en présence des sieurs Pierre JOUTET cultivateur de cette commune et de Jean Baptiste Prudent FAUCONNET Maire de cette commune et de Jean-François GRESSENT adjoint aussi de cette commune, tous deux amis du défunt et le premier frère du défunt, tous trois témoins ont signé »31ADSM, 1J105-1, registre 1813, 2 ème feuillet et 4E 6442 vue 85/126., (cf., ci-dessous).

Deux ans plus tard, la mort de son frère ainé, Pierre Jacques JOUTET (1742-1815), dernier représentant de cette génération, met un terme à cette histoire dont l’essentiel s’est déroulé entre Veules et Blosseville32Inhumation de Pierre Jacques JOUTET le 8 Novembre 1815 par Jacques Louis NÉE prêtre habitué de la paroisse Sr Martin : ADSM Veules 4E 7703 (1814-1815), vue 45/52 et 1J 798-1..
Auteur : Didier HANNEQUIN
Remerciements aux membres du Cercle Généalogique du Pays de Caux pour les relevés et photographies des registres.
Références
- 1ADSM Veules St Martin, 4E 3347, vue 73/98.
- 2ADSM Veules, 4E 3346 (1740-1743), vue 27/67.
- 3Les dates de naissance sont respectivement à Veules Pierre Jacques le 29/04/1742 4E 3346, vue 39/67 ; Marie Madeleine le 29/04/1744, 3E 514 (1740-1744), vue 67/72 ; Marie Catherine Henriette le 9/02/1746, 4E 3347 (1744-1750), 30 vue /98 ; Adrien Etienne le 14/01/1750 (1750-1751), vue 3/38 ; Jacques Alexis le 19/07/1753, relevé généacaux ; Charles Adrien le 13/05/1756, 4E 3347 (1755-1759), vue 32/92.
- 4ADSM Manneville es Plains 4E 306 (1760-1769), vue 95/114.
- 5ADSM Veules 4E 3348 (1770-1774), vue 35/88.
- 6Blosseville 4E 3088 (1770-1779), vue 66/182
- 7ADSM,Veules 4E 3348 (1775-1779), vue 6/111. Adrien le 1er mars 1775 : ADSM Blosseville 4E 3088 (1770-1779), vue 94/182.
- 8AD 27, Charleval, BMS (1763-1792), vue 113/293.
- 9ADSM La Gaillarde 4E 3167 (1770-1779), vues 74, 93-94-95/114.
- 10ADSM Blosseville, 4E 3088 (1770-1779), vue 146/182 et (1780-1789), vue 14/146 ; décès Jacques Romain QUINEL, vue 16/146.
- 11ADSM Blosseville 4E 3088 (1780-1789), vue 47-48/146.
- 12Antoine Julien PICHARD DE LA VISSIERE (1739-1799), prêtre déporté en 1798, mort à St Martin de Ré, cf., Francis RENOUT « le clergé et la révolution » sur le site de Généacaux mis en ligne en 2019.
- 13ADSM Veules St Martin 4E 3348 (1785-1789), vue 109/123.
- 14Albert SOBOUL. Dictionnaire historique de la révolution française. Quadrige. PUF. 2021. Article Dîme par J-J CLÈRE.
- 15ADSM, Blosseville 4E 3038, vue 22/24
- 16Archives de Veules au cercle généalogique de Caux, Fontaine le Dun.
- 17Mémoires de l’abbé Brumare, chapitre IV, transcription par l’abbé HUET, ADSM 22 J 119, p. 174
- 18Claude SIBLOT (1752-1801), médecin et maire de Lure (Haute-Saône) est député de Haute-Saône à l’Assemblée Nationale Constituante en 1791, puis à la Convention Nationale en septembre 1792. Le représentant du peuple SIBLOT arrive en mission pour l’Eure et la Seine Inférieure en février 1794.
- 19Narcisse-Adolphe Brumare naît à Fauville le 16 octobre 1823.Ordonné prêtre en septembre 1848, il est vicaire pendant huit ans à Eu. En 1856, il est professeur d’histoire au petit Séminaire diocésain. L’archevêque lui confie la paroisse de Blosseville en 1860. Il rédige ses mémoires pour répondre à la sollicitation de Henri de Bonnechose (1800-1883), archevêque de Rouen en 1858, cardinal en 1863 qui sollicite ses desservants afin qu’ils rédigent les annales de leurs paroisses. En 1869, le curé Brumare rejoint la paroisse de St Laurent en Caux où il décède le 21 décembre 1870. Source : la semaine religieuse du diocèse de Rouen. 4 ème année, N°42, samedi 7 janvier 1871, p 999. via Gallica.
- 20Mémoires de l’abbé Brumare par l’abbé HUET : ADSM 22J 119, chapitre IV p. 172-173.
- 21En plus des actes signés par Nicolas JOUTET, certains des biens sont cités en limites de ceux appartenant à PORET de Blosseville. Etat des immeubles ADSM 132 J 177, le 26 Fructidor an IV (12 Septembre 1796)
- 22ADSM 2 E8/810 vue 432/796 et 2 E8 /80 1p r/v. ; ADSM 132 J 179. BARAY est parfois orthographié BARRÉ.
- 23ADSM LP 8227 : Justices de paix ; Veules, minutes diverses. 1992 N° 216.
- 24ADSM C. 1754. Rôle d’assiette de la taille, établi le 6 Janvier 1789, folio 6 recto. Le Mr de Blosseville désigne ici Bénigne PORET.
- 25ADSM registre LP 7032, étude de Maître LE BARBIER, à St Valery en Caux
- 26vue 53/59 et minutes 2E 94/5, acte N° 282.
- 27Michel BIARD, Philippe BOURDIN, Silvia MARZAGALLI. La Révolution française et les cultes p. 343-410 in Révolution, Consulat Empire. Folio Histoire de France. Gallimard 2021. Jean-René SURATTEAU. Le Directoire avait-il une politique religieuse ? in Annales historiques de la Révolution française, n°283, 1990. pp. 79-92.
- 28Textes du Concordat et articles organiques disponibles sur le site d’histoire de la Fondation Napoleon : napoleon.org
- 29ADSM Blosseville, mariage le 30 décembre 1798, 4E 771 (1798-1799), vues 9-10/69 et acte de naissance de Catherine, 4E6441 (1801-1803), vue 40/65.
- 30Chaignet D. Jean-Marie LEBAY (1761-1834), curé de Veules ou le voyageur malgré lui. Editions ASPV. 2017, p. 165/271. ADSM, 4E 7703 (1807-1809), vue 97/112
- 31ADSM, 1J105-1, registre 1813, 2 ème feuillet et 4E 6442 vue 85/126.
- 32Inhumation de Pierre Jacques JOUTET le 8 Novembre 1815 par Jacques Louis NÉE prêtre habitué de la paroisse Sr Martin : ADSM Veules 4E 7703 (1814-1815), vue 45/52 et 1J 798-1.
Bravo pour ce très beau travail de mémoire .félicitations pour votre passion de remonter le temps de la vie de ce village de blosseville ou je suis né.
Très enrichissant..
Bien cordialement
Bonsoir mr Leriche
Merci pour vos mots sympathiques qui sont des encouragements pour la suite
Bien cordialement
Didier Hannequin
Très détaillé . Recherché , fouillé. Bravo. Annie.
Quel travail ! je suis admiratif …Je découvre un aspect inattendu de la période révolutionnaire J’attends de prochaines aventures