Introduction
A l’été 1793, deux laboureurs1Laboureur est équivalent au mot cultivateur qui commence à être utilisé à cette époque. D’autres laboureurs tenaient des fermes pour Bénigne PORET de Blosseville à la fois à Blosseville et dans d’autres communes. Les deux laboureurs étaient eux-mêmes propriétaires d’autres biens., Guillaume VATTEMENT et Michel Nicolas GIFFARD signèrent chacun un bail2ADSM : 132 J 179. Ces biens sont également dans « l’état des immeubles » du 12 septembre 1796, Bénigne PORET de Blosseville demeurant désormais à Amfreville la Campagne (Eure), ADSM : 132 J 177. pour des fermes situées à Blosseville qui appartenaient au vicomte Bénigne PORET de Blosseville, devenu « le citoyen PORET » ou « le dit Blosseville ».
A partir des manuscrits de ces baux, nous proposons des exemples des charges auxquelles ces laboureurs étaient assujettis. Nous illustrons ainsi quelques aspects de la vie quotidienne dans les fermes à la Révolution. C’est aussi l’occasion d’évoquer un vocabulaire agricole spécifique3Le vocabulaire agricole justifie le recours à des dictionnaires spécialisés. Marcel LACHIVER (1934-2008). Dictionnaire du monde rural : les mots du passé. Fayard. 2006. Paul FENELON (1902-1993). Vocabulaire de géographie agraire. Imprimerie Louis-Jean. Gap. 1970..
En 1793, le « citoyen » Bénigne PORET de Blosseville (1742-1828) demeurait au Bois Héroult (canton de Buchy). Il était représenté à Blosseville par Jean François GRESSENT (1752 – 1822), « fondé des procurations ». Le propriétaire (bailleur) disposait d’une équipe d’ouvriers qui effectuaient certains travaux sur l’ensemble de ses biens. Des préposés étaient chargés de contrôler et attestaient des actions entreprises par les laboureurs.
Chaque bail était établi « pour le temps et espace de neuf années et neuf dépouilles consécutives »4Dépouilles : archaïsme juridique : récolte. Alain REY. dictionnaire historique de la langue française. T 1. Ed Le Robert. 2019. débutant à la St-Michel. La rédaction du bail commence par la description des différentes pièces constitutives puis détaille l’ensemble des charges. Ces deux fermes étaient importantes, chacune comportant un descriptif de 25 pièces différentes.
Guillaume VATTEMENT (1742-1802) demeurant à Blosseville, signa le 2 août 1793 pour une ferme de 127 acres5Une acre contient 4 vergées, chaque vergée faisant 40 perches carrées. La valeur de l’acre à la fin du XVIII ème siècle dans le bailliage d’Arques était 68,66 ares selon Gérard d’ARANDEL de CONDÉ : les anciennes mesures agraires de Haute Normandie. Annales de Normandie, 18, N°1, 1968 p. 3-60. Blosseville n’est pas mentionnée pour cette valeur de l’acre mais les communes proches telles Veules, Fontaine, la Gaillarde, St P. le vieux… sont citées dans Pierre MARAIS : code des usages locaux pour les arrondissements du Havre et d’Yvetôt. Agriculture. Yvetot, 1874, p. 114., 3 vergées et 4 perches (87,2 hectares) de terrain tant masure, labour, bois, taillis. Le montant du fermage était de 3600 livres en 2 versements, à la St Jean-Baptiste et à Noël. Le descriptif de la première pièce, «une masure6Masure : n.f. le latin tardif atteste de mansura (tenure domaniale, manse, av.750 et demeure, maison bâtiments, vers 950) in A. REY. Ensemble des bâtiments d’une exploitation agricole dans le pays de Caux. Au Moyen Âge, désignait les bâtiments mais également l’ensemble d’une tenure dont l’étendue et la composition correspondaient au travail et aux besoins d’une famille : in Paul FENELON (1902-1993). Vocabulaire de géographie agraire, op. cit., p. 418/688. logée d’une maison, colombier, pressoir, écurie, bergerie, charreterie, granges, four et autres bâtiments, plantée d’arbres fruitiers etc.», et sa localisation correspondent aux anciens bâtiments (années 1730-50) situés entre la route de Blosseville à Angiens et la D4 menant de Luneray à St Valéry en Caux (illustration ci-dessous).
Michel Nicolas GIFFARD (1726 -1798), qui habitait St Pierre Le Vieux, a signé le 17 juillet 1793 pour une ferme de quatre-vingt acres (55 hectares) tant en masure, labour que jonc marin. Le montant du fermage était de 2400 livres. Le descriptif de la première pièce, « masure logée d’une maison, granges, écurie, bergerie, four, charreterie, poulailler et d’un colombier et autres bâtiments » et sa localisation correspondent aux bâtiments anciens situés entre les actuelles rue de la Forge et rue du Moulin (illustration ci-dessous).
Charges du laboureur
Nous avons choisi de reclasser par rubrique des clauses qui dans chacun des deux baux figuraient parfois dans des paragraphes distincts.
Principes généraux
Le laboureur devait :
- Faire de cette ferme sa résidence.
- Garder les possessions et au cas où elles seraient attaquées les défendre à ses frais jusqu’à jugement définitif.
- Faire borner les terres par les préposés du bailleur.
- Ayant des propriétés dans la même commune ou dans des communes voisines, renoncer de les faire valoir et les louer pour ne cultiver que les terres de la dite ferme à peine de résiliation comme clause expresse du dit bail.
- Nantir la ferme de meubles et de bestiaux pour la sureté du prix du bail ainsi que pour la culture et son amélioration.
- Payer tous les ans ses impositions foncières7 L’imposition était appliquée par la municipalité à l’ensemble des biens du propriétaire, le fermier laboureur devait une partie de cette somme qui était proportionnelle au bien qu’il tenait. au bailleur ou au collecteur (percepteur) sans pouvoir demander aucune diminution ni sur le prix ni sur l’imposition.
- Fournir à boire aux ouvriers qui travailleront aux réparations de la ferme, et apporter tous les matériaux nécessaires au pied de l’ouvrage.
- Devoir sept journées8Les journées non utilisées ne pouvaient pas lui être réclamées en fin de bail. de harnois pour les travaux des propriétés du dit Blosseville. Ce terme harnois suppose du travail requérant un cheval.
Le laboureur ne pouvait en aucun cas, sauf consentement exprès du bailleur, rétrocéder soit partie ou totalité de la dite ferme à peine de résiliation comme clause expresse du bail.
Toitures et greniers
A l’époque, nombre de bâtiments de ferme étaient couverts en glui.
Le glui, (ou gluy) phonétique [glu] désignait la paille du seigle (du latin glodium), passée à la dreige pour la débarrasser des impuretés : il correspond à l’usage du mot chaume pour la couverture des toitures.
Tous les ans, des toises9Toise s.f. en Normandie, unité de surface de 1,20 m de large et de 2 m de long utilisée pour les couvertures en chaume in LACHIVER Marcel (1934-2008). Dictionnaire du monde rural : les mots du passé. Nouvelle édition 2006. Fayard ,voir p. 1249 et in Lexique Cauchois. Fascicule 5. p. 3. Fédération départementale des foyers ruraux de la Seine Maritime.1985. La quantité est proportionnelle à la taille de la ferme. , au nombre de trente ou quarante selon le bail, de couverture neuve devaient être réalisées d’une épaisseur d’au moins dix pouces (supérieure à 27 cm) aux endroits jugés appropriés par le bailleur ou ses préposés.
Les bottes de gluy étaient de cinq pieds de tour (environ 50 cm de diamètre) et liées à la cheville. Le bail précise « un cent de gluy à raison de dix toisés de couverture 10Ce chiffre est bien supérieur au six gluis par toise de couverture rapportés par la majorité des ouvrages tels ceux de BOUCHARD, LACHIVER et le Lexique Cauchois.».
Le preneur devait fournir le matériel nécessaire au lattage et à la fixation des bottes : gaulette11Gaulette : n.f. petite gaule, dans le pays de Caux, baguette disposée en clayonnage entre les colombes. in LARCHIVER, p.660. Il s’agit probablement de l’équivalent du vaulard : s. m., petite perche refendue servant à faire des couvertures en chaume. Petite perche sur laquelle on fixe le chanvre. in LARCHIVER, p. 1297. et torquette 12Torquette ou torchette : petite torche de paille in Godefroy F. Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes. Paris,Tome VII. 1892. Torquette : s.f., au XVI ème siècle, lien de paille. Dans le pays de Caux, lien de seigle tordu qui permettait d’attacher le chaume sur les vaulards d’une toiture. in LACHIVER p.1254.
Une fois les toises de couverture neuve réalisées, une quittance était remise pour être présentée à la fin du bail.
Si les gluy qu’il était tenu de fournir pour les toises de couverture neuve n’étaient pas requises sur le moment, il devait les fournir, bons loyaux et marchands, à la fin de son bail ou à la fin de chaque année au choix des deux parties.
Le laboureur devait également :
- Faîter13Le type de faîtage n’est pas précisé, mais il était traditionnellement en terre plantée d’iris. ce qu’il avait fait couvrir à neuf ainsi que raccommoder les faîtages des autres bâtiments. Si ces faîtages n’étaient pas effectués, le bailleur s’en chargeait aux frais du preneur.
- Recharger tous les greniers, faire toutes les réparations pour les terrages et sollages. Un grenier dont le sol était en terre était nommé solié ; ce sol était fait de bois ronds tournés dans la paille d’avoine et la glaise formant des fusées placées côte à côte et recouvertes d’argile. Dans le grenier à grains, pour éviter que le grain ne vienne dans le chaume du toit, était dressé un petit parapet en terre à environ 40 cm du bord, nommé sollage.
Arbres fruitiers
Le laboureur devait :
- Cherfouir14Cherfouir ou cerfoir : Fouir, labourer légèrement une terre in FENELON Paul (1902-1993). Vocabulaire de géographie agraire. Imprimerie Louis-Jean. Gap. 1970, p 137 et 160/688. les arbres fruitiers trois fois au cours du bail et les engraisser soit en y mettant du jonc marin15Jonc marin. A cette époque, sur le territoire de la commune, 15 ares étaient occupés par le jonc marin qui servait également de plante fourragère. Document comptable, ADSM 1QP1489. ou des pésachis16Pésachis : nom sous lequel on désigne les semailles et les récoltes de pois, vesce et lentilles in l’abbé Jean-Eugène DECORDE. Dictionnaire du pays de Bray. Paris. 1852. p. 108/140.,de trois en trois ans.
- Mettre une bonne ente17Une ente est une jeune branche, scion qu’on prend sur un arbre pour le greffer sur un autre. ente = arbre greffé du latin « imputare » (par réduction de la syllabe centrale), greffer, du bas latin « impotus = greffe » in Alain REY. greffée d’une valeur d’au moins quarante sols à la place des arbres fruitiers tombés par vétusté ou impétuosité du vent. Les armer de pierres, et les motter en les plantant et les entretenir. Planter n’était autorisé qu’après l’agrément du bailleur ou ses préposés. Une fois effectué, une quittance était délivrée à présenter en fin de bail.
- Si ces entes venaient à mourir, les remplacer et en fournir de nouvelles de la même valeur.
- Entretenir les autres entes plantées, qui si elles périssaient à cause des épineux ou des bestiaux devaient être remplacées à ses frais.
Le laboureur avait le profit les pommes tombées par vétusté ou impétuosité des vents. Cependant il ne pouvait les enlever qu’après le constat établi par un préposé et permission écrite, laquelle devait être présentée lors de la quittance générale.
Il ne pouvait élaguer, cueillir pommier et poirier sans permission.
Coupe du bois
Le laboureur gardait pour son usage les ébranchages des arbres haute futaie situés sur les fossés bordant les masures. Leur bornage au moment du bail ne permettait pas d’ en espérer d’autres.
Ces ébranchages n’étaient possibles qu’une seule fois pendant la durée du bail. Il était cependant convenu que cette coupe pouvait se réaliser en plusieurs périodes : une partie des arbres pouvait être coupée tous les ans ou deux ans, mais pas plus d’une fois pour un arbre donné pendant le dit bail.
Il devait prendre soin de ne point « déshonorer les arbres » ni de les ébrancher trop haut et être garant des bois taillis18Bois taillis. A cette époque, sur le territoire de la commune, 23 acres étaient occupées par du bois taillis. Document comptable, ADSM 1QP1489..
Il avait la coupe des bois taillis une fois pendant la durée du bail, devant laisser les baliveaux selon la loi.
Il était convenu qu’il se serve des ouvriers du bailleur pour l’ébranchage.
En revanche, le bailleur avait le droit de défaire des alignements comme il le souhaitait et se réservait les coupeaux des arbres qu’il lui plaisait de faire abattre.
Cultures
Le laboureur devait labourer, fumer, cultiver et ensemencer les terres par tous soles et saisons convenables comme les terres voisines sans les déssoller ni désaisonner19Une sole est une pièce de terre soumise à l’assolement. Dessaisonner ou désaisonner : au XVIII ème siècle, mettre deux blés d’hiver de suite sur une même pièce de terre, au lieu d’un blé d’hiver et d’un blé de printemps, ce qui surcharge la terre et l’épuise, même si la troisième année est bien en jachère. Déssoller : changer l’ordre des soles d’une terre labourable. in LACHIVER p 472..
Il ne pouvait cultiver plus de colza, rabette20La rabette est une variété de choux rave cultivée comme plante fourragère et dont les graines oléagineuses ont été prisées notamment pour faire de l’huile d’éclairage. Elle a été supplantée par le colza au meilleur rendement. Dans l’enquête de 1794, sur l’ensemble de la Seine Inférieure, la rabette occupait 1174 acres contre 1931 acres pour le colza, in Charles DE BEAUREPAIRE (1828-1908) : Renseignements statistiques sur l’état de l’agriculture vers 1789. Rouen. Imp Cagniard. 1889, p. 59/113., lin et trèfle que la loi ne le permettait.
Il ne pouvait retirer aucun fourrage ni vendre ni fourrage ni gluy ni en employer sur son bien (autre propriété du laboureur) sans la permission écrite du bailleur.
Il devait fournir tous les ans une mine d’avoine et un demi-cent21mine d’avoine : 1, 752 hectolitre in P. PERIAUX ; Manuel Métrique. 2 ème Ed. Rouen 1810. p. 248, Table 98. demi-cent : pour les pois et les vesces, la référence était un cent de bottes qui par exemple à l’abbaye de Fécamp pesait entre 340 à 390 kg Animaux Travaux divers Fin du bail Animaux Travaux divers Fin du bail
Le laboureur ne devait mettre ses vaches dans les herbages que si elles étaient embricollées
Il devait fournir, tous les ans après août, six douzaines de pigeons, douze chapons gras et six canards à faire parvenir au domicile du bailleur.
Le laboureur devait :
Vesselle s’est employé pour désigner un tonneau, fin XV ème, in Alain REY.25.
A la fin du bail, le laboureur devait :
Compot n.m. Culture considérée dans l’ordre des assolements. Un compot à blé est une pièce de terre qui doit être semée en blé. A ne pas confondre avec compost (engrais). in Pascal BOUCHARD. Nouveau dictionnaire cauchois. Imprimerie Bertout. 1979. p. 38.26 propre à faire le bled (blé), les deux tiers des terres en compot dégagé, labourées de deux labours et hersées avant la St Jean-Baptiste suivant l’usage du lieu.
Remerciements pour leurs commentaires et suggestions à Patrick Monville, Laurent Liot, Catherine Tardif.
Références
Le laboureur ne devait mettre ses vaches dans les herbages que si elles étaient embricollées
Il devait fournir, tous les ans après août, six douzaines de pigeons, douze chapons gras et six canards à faire parvenir au domicile du bailleur.
Le laboureur devait :
A la fin du bail, le laboureur devait :
Remerciements pour leurs commentaires et suggestions à Patrick Monville, Laurent Liot, Catherine Tardif.