Introduction
Cet article présente le déroulement de l’élection du premier conseil de la commune et quelques décisions prises lors des premières séances. La dénomination officielle était conseil général de la commune.
Une archive1ADSM. L 5968. La transcription du texte original est mise en italiques. L’orthographe est normalisée. L’orthographe des noms propres est celle utilisée par les personnes lors de leurs signatures. Les majuscules ont été choisies pour faciliter la lecture. Les caractères gras, numérotations et intertitres sont de l’auteur. donne le détail des premiers temps de la municipalité, du 14 février 1790 au 19 Juin 1791. Les procès verbaux des premières séances sont insérés au sein des très nombreuses lettres patentes royales, décrets et lois dont l’assemblée prenait connaissance au fur et à mesure de leur transmission.
La loi du 14 décembre 1789 régit les municipalités. Tout citoyen n’était pas électeur. Etaient exclus les femmes, les domestiques, les personnes en état d’accusation. Un électeur dit citoyen actif devait être âgé d’au moins vingt-cinq ans, être domicilié du lieu depuis plus d’un an, être inscrit à la Garde Nationale, payer une imposition directe (capitation, vingtième ou taille) égale à au moins 3 jours de travail. Pour être éligible, un citoyen devait être un contribuable payant un impôt supérieur ou égal à dix journées de travail.
Dans chaque commune, les citoyens actifs élisent au suffrage direct les membres du conseil général de la commune. Ce conseil est réparti en deux échelons (i) les officiers municipaux qui sont la partie active et permanente du conseil, (ii) les notables, qui eux ne délibèrent que sur certaines affaires. Tous les membres du conseil général de la commune sont élus pour 2 ans renouvelables par moitié chaque année. A la tête de la commune, le maire est élu pour 2 ans directement par tous les citoyens actifs. Le procureur est élu dans les mêmes conditions. Ce procureur est l’avocat d’office des citoyens de la commune, il représente la commune dans les affaires contentieuses et a la fonction d’accusateur public devant le tribunal de la police municipale, lequel est constitué de quelques membres du conseil. Le procureur a voix consultative dans toutes les délibérations.2Albert Soboul. Dictionnaire historique de la révolution française. Quadrige. PUF. 2021. Article, administrations locales.
Cette organisation des communes s’intègre dans une réforme administrative globale. Ainsi à la date du 1er mars 1790, le département est qualifié de Seine Inférieure : il comporte les districts de Rouen, Caudebec, Montivilliers, Cany, Dieppe, Neufchâtel et Gournay en Bray.
Le district de Cany comprend les cantons de Cany, Doudeville, Fontaine-le-Dun, Ourville, Saint-Laurent-en Caux, Saint-Valéry-en-Caux, Sassetot-le-Mauconduit, Valmont, Veules.
Ce neuvième canton de Veules comprend les communes d’Angiens, Blosseville, Cailleville, La Chapelle-sur-Dun, Epineville, Gueutteville-les-Grés, Iclon, Le Mesnil-Durdent, Le Mesnil-Geoffroy, Saint-Aubin-sur-mer, St Pierre-le-Vieux, Sotteville sur Mer, Veules.3 ADSM. Introduction au répertoire numérique de la Série L et Appendice IV p. CXIV.
Le 14 février 1790 ; élection de la Municipalité
Transcription du texte original :
L’an mille sept cent quatre-vingt dix le quatorze février à l’assemblée des habitants en général de la communauté de Blosseville élection d’Arques, généralité de Rouen, convoquée à ce jour et tenue dans l’église du dit lieu en conséquence des dites lettres patentes du roi, du mois de janvier 1790 dont lecture a été faite au prône4Sermon fait par le prêtre à la messe dominicale. Réforme du 23 Juin 1787 faisant du curé un membre de droit de l’assemblée municipale, lisant au prône édits et ordonnances in M. Biard, P. Bourdin, S. Marzagalli : 1789-1815. Révolution, Consulat, Empire. Folio Histoire. ed 2021. p. 348/942. le sept de février et affiches mises sur la porte de l’église de cette communauté ; pour procéder dans les formes ordonnées par les dites lettres patentes et celles du mois de décembre dernier, à la constitution de notre municipalité à laquelle assemblée se sont trouvés trois citoyens actifs ayant les qualités requises et prescrites par le dit décret, qui ont procédé à la nomination d’un président et d’un secrétaire, par la voix d’un scrutin, ouverture faite par les trois plus anciens d’âge de cette assemblée, nous, MIGNOT, COTTARD et HOCHET :
ayant réuni la pluralité des suffrages ont été proclamés, savoir, Monsieur le curé président et monsieur JULIEN secrétaire, lesquels ont prêté sur le champ en présence de la dite assemblée le serment « de maintenir de tout leur pouvoir la constitution du royaume, d’être fidèles à la nation et la loi et au roi, de choisir en leur âme et conscience les plus dignes de la confiance publique et de remplir avec zèle et courage les fonctions civiles et politiques qui pourront leur être confiées ». Le même serment a été fait et répété entre les mains dudit sieur curé président par les membres de la dite assemblée.
Ce fait, on a passé au scrutin pour l’élection de trois scrutateurs…HOCHET COTTARD et FAUCONNET sont élus scrutateurs pour ouvrir tous les scrutins subséquents de cette assemblée, les dépouiller, compter les voix et en proclamer les résultats.
En conséquence de ci-dessus tous les citoyens actifs ont voté par scrutin individuel :
1° pour l’élection du maire ; et le scrutin ouvert et dépouillé par les trois scrutateurs ci dessus nommés, Mr FAUCONNET, maire ayant réuni la pluralité des suffrages a été proclamé maire ;
2° par scrutin de liste double, l’élection de cinq officiers municipaux. Et le scrutin ouvert comme ci-dessus, messieurs JOUTET curé, Pierre ALLAIS, Jean BEUZEBOSC, Pierre BAZIRE et NEE prêtre, ayant obtenu la pluralité des suffrages ont été proclamés officiers municipaux.
3° par scrutin individuel pour l’élection du procureur de la commune. Mr Pierre COTTARD, ayant de même rempli la pluralité des suffrages, a été proclamé procureur de la commune
4° par scrutin de liste simple pour l’élection de douze notables et le scrutin ouvert comme ci-dessus, Messieurs Michel LAPERDRIX, DUTOT prêtre, Jean BOURGEAUX, François CARPENTIER, Guillaume VATTEMENT, Nicolas TROUDE, Adrien FORTIN, Jean CORUBLE Jacques MIGNOT, Jacques BILLARD, Michel SAMSON et Pierre TIERCIN ayant réuni la pluralité des suffrages ont été proclamés notables de la commune.
Les sieurs maire, officiers municipaux, procureur et notables de la commune ont de suite prêté devant la commune serment de « maintenir de tout leur pouvoir la constitution du royaume, d’être fidèles à la nation et la loi et au roi, de bien remplir leurs fonctions ».
Fait et arrêté double, l’un sera déposé au secrétariat de la dite municipalité et l’autre en celui du bureau intermédiaire d’Arques. A Blosseville, les dits jour et an ci-dessus.
Soulignons que parmi ces 18 élus, huit étaient parmi les neuf signataires du cahier de doléances du 8 mars 1789.
Le 2 Avril 1790 : le dilemme du maire
Le récit, ci-dessous, témoigne de la situation du maire après son élection comme trésorier de la Fabrique. Ce mot Fabrique a deux significations. Il désigne les biens de l’Eglise, à la fois les fonds et les revenus affectés à l’entretien et aux réparations de l’église. Il désigne aussi l’assemblée des paroissiens qui administraient ces fonds. Dans le discours du maire ci-dessous, il est question des comptes de la Fabrique tenus sur un registre où sont portés à la fois les revenus (par ex., ceux d’une terre mise en fermage, d’une rente…) et les dépenses (par ex., des réparations, l’achat d’objets…). Le cumul de deux fonctions publiques étant interdit, le maire est face à un choix qu’il expose aux membres du Conseil :
Aujourd’hui 2 Avril 1790, le corps municipal assemblé en l’hôtel commun pour délibérer sur l’incompatibilité de la place de maire et de celle de trésorier gérant de la Fabrique où se sont trouvés les sieurs JOUTET curé, Jean BEUZEBOSC, Pierre BASIRE et NEE prêtre et COTTARD procureur de la commune. L’assemblée étant complète suivant l’article…il a été fait par Mr le maire le discours suivant.
« Messieurs, vous m’aviez fait l’honneur de me nommer à la place de maire de notre paroisse, j’avais accepté et j’avais fait le serment de remplir fidèlement mes fonctions. J’apprends que les habitants assemblés au nombre de dix-huit m’ont nommé trésorier de la Fabrique le 24 du mois dernier et que les registres doivent m’être remis demain au soir pour entrer en gestion5« entrer en gestion » est utilisé pour décrire la date du début de la charge du trésorier in Philippe Goujard. Les fonds de fabriques paroissiales : une source d’histoire religieuse méconnue. Revue d’histoire de l’église de France.1982, 180, 99-111, cf p. 103. accessible via Persée.dimanche prochain 4 de ce mois. Ces deux places sont absolument incompatibles et ne peuvent être à la fois gérées par la même personne. En conséquence il me reste à opter entre elles. Comme tout bon citoyen doit supporter les fardeaux de la paroisse et qu’il doit préférer l’utilité générale à ce qui peut lui être personnel, je vous prie messieurs de trouver bon que je fasse en vos mains ma démission de la place de maire où vos suffrages m’avaient fait l’honneur de m’appeler vous déclarant par le présent que je m’abstiendrai à l’avenir de tout acte relatif à cette place pour me renfermer seulement dans celle qui m’a été assignée de marguillier6Marguillier : du latin matricularius, dérivé de matricula « rôle, registre ». Le mot est ici utilisé comme équivalent de trésorier de la Fabrique.de cette paroisse, sur quoi je prie l’assemblée de délibérer déclarant après ma signature me retirer pour laisser aux suffrages la liberté que la circonstance exige. A Blosseville, le jour à que dessus ». Signature FAUCONNET.
Un des officiers municipaux expose alors son avis et s’engage par écrit :
Après les représentations faites par Mr le maire je persiste à le nommer et déclare qu’en cas que d’autres lui accordent sa démission je demande la mienne. Fait et arrêté le deux Avril 1790. Signature Jean BEUZEBOSC, (illustration ci-dessous).
Le maire qui d’ailleurs utilise le mot « paroisse » au lieu de « commune », revient alors sur sa décision initiale :
Vu le vote général de la Paroisse je consens remettre ma place de trésorier et rentrer en possession de celle de maire de Blosseville. Ce 8 Avril 1790. (illustration ci-dessus).
Le 3 mai 1790 : la nomination d’un collecteur d’impôts
Le remplacement pour cause d’incompatibilité entre les fonctions de notable et de collecteur d’impôts donne l’occasion de voir les signatures d’autres membres du conseil.
« Aujourd’hui 3 mai 1790, le corps municipal étant assemblé sur la nécessité de nommer un collecteur en lieu et place de Jean BOURGEAUX qui par sa place de notable de la municipalité se trouve exempt. Les suffrages recueillis la pluralité s’est réunie sur le sieur Pierre HERMENT à la charge pour lui de rendre compte tous les mois en la municipalité du dit lieu, ce que nous avons signé le même jour et an que dessus.
Ces signatures sont précieuses car elles permettent, parmi les nombreux homonymes, de valider le suivi de ces personnes au fil du temps afin d’établir la notice biographique de chacun. En attendant la publication de ces notices, vous trouvez ci-dessous ces noms, prénoms avec leurs dates et les professions exercées en 1790.
BASIRE Pierre Philippe (1744-1806), laboureur ; BEUZEBOSC Jean Michel (1746-1819), laboureur ; BILLARD Jacques Barthélémy (1747-1815), tisserand, laboureur ; BOURGEAUX Jean (1742-1808), laboureur ; CARPENTIER François (1754-1832), charpentier ; CORUBLE Jean (1753-1833), charpentier ; COTTARD Pierre (1730-1804), laboureur ; DUTOT Jean (1728-1799), premier chapelain ; FAUCONNET Jean Baptiste Prudent (1762-1838), marchand, négociant, laboureur ; FORTIN Adrien (1734-1807), marchand, mercier ; HOCHET Louis Nicolas (1749-1826), laboureur ; JULIEN Pierre Jacques (1755-1826), greffier, secrétaire ; JOUTET Nicolas (1748-1813), curé ; LAPERDRIX Michel (1744-1809), maréchal-ferrant ; MIGNOT Jacques (1714-1790), laboureur ; NEE Jacques Louis (1750-1822), second chapelain ; SAMSON Michel Adrien (1750-1806), laboureur ; TIERCIN Pierre (1751-1831), tisserand, laboureur ; TROUDE Nicolas Michel (1740-1818), laboureur ; VATTEMENT Guillaume (1742-1802), laboureur.
Fin de ce premier conseil général de la commune
Les procès verbaux de ce premier conseil sont conservés jusqu’au 24 Juin 1791. Toutefois, on ne dispose d’aucune signature du maire après le 28 mai 1790. Jean-Baptiste Prudent FAUCONNET sera maire à nouveau en 1801.
Cette municipalité cessa à la fin de 1792. Le décret du 11 Août 1792 abaissa le droit de vote de 25 à 21ans, la notion de citoyen actif fut supprimée. Pour être électeur, il fallait être un homme, français, âgé de 21 et plus, vivre de son travail et ne pas être dans un état de domesticité. Le décret du 27 septembre 1792 de la Convention Nationale ordonna le renouvellement des corps administratifs, municipaux et judiciaires.
Le deuxième conseil général de la commune
Une partie du conseil général suivant est connue par la validation du registre d’état civil en date du 27 janvier 1793. Pierre RIDEL est le maire, Adrien RIDEL, Romain LHURIN, André QUENEL sont officiers, Nicolas SAMSON est procureur.7ADSM Blosseville, 27 janvier 1793, 4E 6441, vue 11/11. (illustration ci-dessous)
Références
- 1ADSM. L 5968. La transcription du texte original est mise en italiques. L’orthographe est normalisée. L’orthographe des noms propres est celle utilisée par les personnes lors de leurs signatures. Les majuscules ont été choisies pour faciliter la lecture. Les caractères gras, numérotations et intertitres sont de l’auteur.
- 2Albert Soboul. Dictionnaire historique de la révolution française. Quadrige. PUF. 2021. Article, administrations locales.
- 3ADSM. Introduction au répertoire numérique de la Série L et Appendice IV p. CXIV.
- 4Sermon fait par le prêtre à la messe dominicale. Réforme du 23 Juin 1787 faisant du curé un membre de droit de l’assemblée municipale, lisant au prône édits et ordonnances in M. Biard, P. Bourdin, S. Marzagalli : 1789-1815. Révolution, Consulat, Empire. Folio Histoire. ed 2021. p. 348/942.
- 5« entrer en gestion » est utilisé pour décrire la date du début de la charge du trésorier in Philippe Goujard. Les fonds de fabriques paroissiales : une source d’histoire religieuse méconnue. Revue d’histoire de l’église de France.1982, 180, 99-111, cf p. 103. accessible via Persée.
- 6Marguillier : du latin matricularius, dérivé de matricula « rôle, registre ». Le mot est ici utilisé comme équivalent de trésorier de la Fabrique.
- 7ADSM Blosseville, 27 janvier 1793, 4E 6441, vue 11/11.