Richard II (963-1026) et Blossa Villa

Signature de Richard II au bas de l’acte. ADSM ; 1 num 316/7-1025.

A la 24 ème ligne d’un parchemin de 63,5 x 76,5 cm1Il est conservé dans la collection du Musée du Palais Bénédictine, Fécamp, Inv. 6 (Engel 2ter)., signé du duc de Normandie, Richard II, il est fait mention de Blosseville. D’un clic sur le site des Archives de Seine-Maritime2Registre des chartes et des sceaux, cote 1 num 316/7, le curieux peut accéder à ce document in extenso et y lire ces quelques mots.

Cet acte est une confirmation récapitulative de tous les biens3Richard II concédait en outre la dîme sur sa monnaie et sur « sa chambre », c’est-à-dire sur tout ce qui devait lui revenir à l’occasion d’achats de terre ou de toute autre transaction ou donation, à l’exception des impôts (fiscalis census) et des coutumes. donnés à l’abbaye de Fécamp par les ducs de Normandie, Richard I, son fils Richard II et divers particuliers.

Dans une première partie, Richard II (963-1026), duc de Normandie depuis 996, confirme à l’abbaye de Fécamp les biens précédemment concédés par son père Richard I (933-996), lequel avait édifié cette abbaye4Voir le Diplôme du 15 juin 990 contemporain de la dédicace de l’église de Fécamp. cf Scripta acte 1431. .

Richard II ajoute ensuite de nombreux biens, en de nombreux lieux5Dont Veules « villam quæ dicitur Wellas cum æcclesia et molendinis .V.que et dimidio » « Veules avec l’église et cinq moulins et demi ». de la Normandie dont Blosseville.

Nous nous référons à l’édition 2019 de cet acte par Mr M. Bloche.6 Le chartrier de l’abbaye de la Trinité de Fécamp : étude et édition critique, 928/929-1190, postérité du fonds. Thèse présentée et soutenue par Mr Michaël Bloche. 2019, Tome II, p 90-100. ADSM : cote F 2255. La traduction de ces 2 lignes consacrées à Veules et Blosseville diffère sensiblement de celle retenue dans la base Scripta, à partir de l’édition de Mme Fauroux en 1961.

« .æcclesiam de villa quæ dicitur Blossa, et de terra arabili in eadem villa acres7Une acre, aux réserves près imputables aux différences locales, correspondait à environ 4000 m2, soit 24 hectares. .LX. »

« l’église du domaine appelé Blossa. et de terre arable du même domaine acres.soixante.»

« l’église de Blosseville et soixante acres de terre arable »

Richard II confirmait toutes ces donations avec le consentement de ses fils Richard et Robert, pour que l’abbaye en jouisse sans être inquiétée par aucune puissance séculière ni judiciaire.

Signature des deux fils

Ces deux fils, issus de son union avec Judith de Bretagne sont :

Richard III « ego tercius Richardus »  (1008-1027) ; il fut duc pendant moins d’une année et mourut en août 1027, dans des circonstances qui évoquèrent un empoisonnement.

Robert « ego Rotbertus », le futur Robert le Magnifique (1010-1035), s’imposa, en quelques années, comme un des princes les plus puissants du Royaume. Sa mort en 1035, à Nicée sur le chemin de retour d’un pèlerinage à Jérusalem, laissa pour héritier, un enfant de huit ans,  Guillaume le Bâtard

Généalogie simplifiée des Ducs de Normandie (dates) de Rollon à Guillaume le Bâtard

Les historiens contemporains ont apporté beaucoup d’arguments8Michaël Bloche, op.cit., TII, 2019, 100 -103. obligeant à mettre en doute cet acte. Nous nous limitons à signaler les arguments les plus évidents.

En premier lieu, il existe une incohérence des dates au sein du manuscrit.

L’année de l’acte tel qu’écrite est .I. XXVII (1027)…ce qui étonne car Richard II est décédé en 1026…

Trente sixième année du roi régnant Robert (le Pieux)

L’ acte se réfère (cf. extrait ci-dessus) au règne de Robert le Pieux (972-1031), roi capétien des Francs de 987 à 1031, dont Richard II 9Lucien Musset : la normandie ducale in Histoire de La Normandie, M. Bouard ed. Privat, 1970. 540 p ; p 108-130.fut à la fois un proche par des convictions religieuses partagées et un allié stratégique. Ces trente-six années (XXXVI) après le couronnement de Robert le Pieux, en 987, dateraient l’acte de 1023, mais cette erreur du rédacteur a été également notée dans deux autres actes contemporains.

Les historiens pensent qu’il faut se fier à l’indiction10L’indiction est une période de 15 années utilisée dans le calendrier des fêtes religieuses. (cf., ci-dessus) qui est de VIII, correspondant à l’année 1025. Cette année 1025 a donc été retenue dans la notice de présentation des Archives (1 num 316/7-1025). Toutefois, à supposer cette question de date résolue, nombre de suspicions persistent.

Les historiens contemporains s’accordent pour dater l’écriture de la fin du XI ème siècle. Il aurait donc pu s’agir de la copie tardive d’un original. Plusieurs arguments plaident contre l’existence même d’un tel original. Les historiens penchent pour un pseudo-original, élaboré à partir de plusieurs actes originaux antérieurs. Ce pseudo aurait été élaboré à la fin du XI ème siècle dans le cadre d’un conflit qui a opposé les moines de Fécamp à l’archevêque Jean d’Avranches (1067-1079), voire à son successeur l’archevêque Guillaume Bonne Ame.

Citons deux éléments simples, en faveur de la « fabrication » de ce pseudo-original. Le premier est la mention explicite dans le texte, du décès de Guillaume de Volpian11Véronique Gazeau, « Guillaume de Volpiano en Normandie : état des questions », Tabularia, Guillaume de Volpiano : Fécamp et l’histoire normande, 2002, http://journals.openedition.org/tabularia/1756, l’abbé appelé par Richard II en 1001 à la Trinité de Fécamp ; Guillaume de Volpiano est décédé en 1031, ce qui rend impossible une rédaction datant de 1025…

Monogramme de Richard II

Le second argument est la présence de ce monogramme de Richard II, car il ne figure sur aucun des manuscrits originaux conservés aux archives !

A défaut d’un document authentique contemporain, cette charte manifestement « bricolée » à la fin du XI ème siècle, évoque l’église et la terre de Blossa Villa, à savoir le Blosseville d’aujourd’hui. Le don étant attribué à Richard II, lequel est mort en 1026, nous pouvons maintenir que cette information relative à Blosseville date bien du premier quart du XI ème siècle.

Références

  • 1
    Il est conservé dans la collection du Musée du Palais Bénédictine, Fécamp, Inv. 6 (Engel 2ter).
  • 2
    Registre des chartes et des sceaux, cote 1 num 316/7
  • 3
    Richard II concédait en outre la dîme sur sa monnaie et sur « sa chambre », c’est-à-dire sur tout ce qui devait lui revenir à l’occasion d’achats de terre ou de toute autre transaction ou donation, à l’exception des impôts (fiscalis census) et des coutumes.
  • 4
    Voir le Diplôme du 15 juin 990 contemporain de la dédicace de l’église de Fécamp. cf Scripta acte 1431.
  • 5
    Dont Veules « villam quæ dicitur Wellas cum æcclesia et molendinis .V.que et dimidio » « Veules avec l’église et cinq moulins et demi ».
  • 6
     Le chartrier de l’abbaye de la Trinité de Fécamp : étude et édition critique, 928/929-1190, postérité du fonds. Thèse présentée et soutenue par Mr Michaël Bloche. 2019, Tome II, p 90-100. ADSM : cote F 2255. La traduction de ces 2 lignes consacrées à Veules et Blosseville diffère sensiblement de celle retenue dans la base Scripta, à partir de l’édition de Mme Fauroux en 1961.
  • 7
    Une acre, aux réserves près imputables aux différences locales, correspondait à environ 4000 m2, soit 24 hectares.
  • 8
    Michaël Bloche, op.cit., TII, 2019, 100 -103.
  • 9
    Lucien Musset : la normandie ducale in Histoire de La Normandie, M. Bouard ed. Privat, 1970. 540 p ; p 108-130.
  • 10
    L’indiction est une période de 15 années utilisée dans le calendrier des fêtes religieuses.
  • 11
    Véronique Gazeau, « Guillaume de Volpiano en Normandie : état des questions », Tabularia, Guillaume de Volpiano : Fécamp et l’histoire normande, 2002, http://journals.openedition.org/tabularia/1756

Laisser un commentaire