Richard de Blosseville (1130-1180), abbé du Valasse et de Mortemer.

La chronique du Valasse

Le nom de Richard de Blosseville apparaît sur plusieurs pages d’une chronique qui retrace les premiers temps de la fondation de l’abbaye Notre-Dame du Voeu (abbaye du Valasse1Cette chronique se situe au début du cartulaire de l’abbaye Notre-Dame-du-Voeu du Valasse, site des ADSM, registre des séries anciennes : Cote 18 HP 28, qui comporte 549 vues, cette chronique occupant de 17 à 38.). Des extraits avaient été publiés dans la Neustra-Pia2Du Monstier, Arthur (1586-1662). Neustria pia, seu de omnibus et singulis abbatiis et prioratibus totius Normaniae. 1663. Rouen. 936p. Valacia p. 848-861. Les dénominations recensées par Du Monstier (p. 848) sont Valacia, Vallasia, Valatia, Valace, Vallis-Azonis, Vale-Aze., mais la référence principale3F. Somménil. Chronicon Valassense. Rouen. 1868. Accessible via Gallica. 120p. reste l’abbé F. Somménil (1821-1906) qui a transcrit, en latin, tout le manuscrit, et l’a significativement enrichi de nombreuses notes qui renseignent sur l’histoire normande et anglaise du XII ème siècle. Plus récemment, Jacques Le Maho 4Jacques Le Maho. Chronicon Valassense (Chronique du Valasse) in Le Valasse. Fondations, Evolution, et gestion d’une seigneureie ecclésiastique du XII au XVIII è siècle. Alain Avenel, Jean-Marie Cahagne, Eric Follain, Alexis Grélois. Jacques le Maho.Tome 1. Ed des Falaises, 2009, 15-26. a proposé une traduction/adaptation en français de cette chronique. L’inconnu, auteur de cette chronique était un contemporain5Une autre source contemporaine, succincte, est la Chronique de Robert de Torigni (1105-1186), abbé du Mont-Saint-Michel ; suivie de divers opuscules historiques de cet auteur et de plusieurs religieux de la même abbaye, publiée par Léopold Delisle. A Le Brument. Libraire de la société de l’histoire de Normandie. Rouen vol 2,1853, p 164-65/ 417. des faits et sa rédaction date probablement des années 1180.

Les débuts chaotiques de la fondation de Notre-Dame du Voeu

Le premier donateur fut Rabel le Chambellan de Tancarville. La chronique raconte que les deux donateurs suivants avaient fait un voeu, pouvant expliquer le nom donné. Ainsi, au retour de la seconde croisade avec le roi Louis VII (1149), Galéran (Waléran) IV (1104-1166), comte de Meulan, alors qu’il était en plein naufrage, avait promis s’il en réchappait de fonder une abbaye de « moines blancs » (cisterciens). Il avait déjà fondé Notre Dame de Bordesley dans le comté de Worcester. De son côté, Mathilde l’impératrice6ou l’Emperesse, ainsi dénommée depuis son mariage en 1114 avec l’empereur germanique Henri V, dont elle devint veuve en 1525. Son père Henri I er roi d’Angleterre la maria en 1128 à Geoffroy Plantagenêt dont elle eut en 1133 le futur Henri II. Marjorie Chibnall,The Empress Matilda: Queen Consort, Queen Mother and Lady of the English, London, Blackwell, 1991. ADSM, 941.020 92 CH (1102-1167), devait honorer son voeu de fonder une abbaye depuis Noël 1142 : elle avait réussi à s’échapper du château d’Oxford alors assiégé par Etienne, roi d’Angleterre. Galéran et Mathilde finirent pas s’accorder pour contribuer à la fondation de l’abbaye qui fut donc à la fois fille de Bordesley et de Mortemer. Les débuts, relatés en détail dans la chronique, furent particulièrement conflictuels7Alexis Grélois ; Les origines de l’abbaye du Valasse in Le Valasse 2009, op. cit. pages 49-65.entre moines de Bordesley, de Mortemer et de Bécheron (cf.,ci-dessous).

Richard de Blosseville appartenait au groupe de moines normands qui étaient à Bécheron, abbaye fondée récemment, en 1151. De cette date, nous pouvons envisager que Richard soit né dans les années 1130. Bécheron deviendra Notre-Dame de la Merci-Dieu, près de la Roche-Posay, Vienne, diocèse de Poitiers. Ces moines venaient probablement de l’abbaye de Chaalis (Fontaine – Chaalis, Oise, diocèse de Senlis), elle même fille d’une des abbayes mères de l’ordre cistercien à savoir Pontigny (nord de la Bourgogne, Yonne). 

Guillaume, abbé de Bécheron avait conseillé à Adam, l’abbé anglais de Mortemer, de recourir aux moines proches du lieu.

« Guillaume, abbé de Bécheron, s’employa à persuader le vieil homme (Adam) que le meilleur moyen de parvenir à un accord pour une fondation au Valasse était de recourir à ses propres services et à ceux de ses moines qui étaient originaires de la région »8Traduction empruntée à J. Le Maho..

Présence de Richard de Blosseville dans les abbayes de Bécheron, Mortemer et Le Valasse entre 1151 et 1179. A partir de fin 1179, à Ourscamp. La présence avant 1150 à Chaalis est possible.

La chronique atteste que Richard était venu sur les lieux de la future abbaye du Voeu pendant cette période troublée du début des années 1150 mais avait dû rejoindre Mortemer en attente d’un dénouement.

Extrait de la chronique du Valasse, vue 29/549 (ADSM, 18HP 28).

Le texte de l’extrait ci dessus « Tunc Ricardus de Bloxevilla, cum aliis quibusdam de Becheron, in monachos Morti-Maris transierunt ». « Alors Richard de Blosseville et plusieurs autres de Becheron rejoignirent le monastère de Mortemer ».

En 1156, Mathilde eut la confirmation9F. Somménil, op cit. p. 109-112. et Jacques Le Maho : La fondation du Valasse racontée par les chartes in Le Valasse 2009, op. cit. p 33-34. par le pape Adrien IV des dons effectués par le chambellan de Tancarville, par Galéran, comte de Meulan, et elle-même. Après avoir obtenu l’autorisation du chapitre général cistercien10ADSM numérisées, onglet des chartes et sceaux puis cote 18 HP 7/13. Mathilde en cela poursuivait l’oeuvre de son père Henri Ier qui avait fait des dons pour Mortemer dès 1134., elle trancha en faveur des moines de Mortemer pour fonder la nouvelle abbaye. Alors que les moines de Bordesley partaient, l’abbé de Mortemer, Etienne qui succédait à feu Adam, décida d’envoyer sur place Richard de Blosseville.

Extrait de la Chronique du Valasse (vers 1180), vue 34/549, (ADSM, 18HP 28)

Le texte de l’extrait ci-dessus « Voto tamen ejus in hoc annuit ut illic miteret Ricardum de Bloxevilla, jam apud Morte-Mare conversorum magistrum ».« Sur le site de Voto  (Valassse) fut envoyé Richard de Blosseville qui était devenu le maître des convers11Les frères convers avaient moins d’obligations religieuses que les moines, ne participaient pas à la cléricature (élection des différents représentations), leur mission était de s’occuper des tâches matérielles. de Mortemer ».

Richard s’installa avec Arnaud, un ancien abbé anglais 12Arnaud avait été l’abbé de Pinokesire, dépendant de Bordesley..Ils rachetèrent le matériel liturgique et des chartes détenues par les moines de Bordesley ne purent garder que celle de la confirmation (Privilège) du pape.

Une liste fut dressée des hommes aptes à quitter Mortemer pour aller fonder la communauté sur le site du Voeu. Furent désignés Guillaume du Bourg-Baudouin, Guillaume de Farceaux, Roger de Montville, Adolphe le Parisien, Roger de Herbetot, Robert de Cahaignes, Froger de Lisieux et quelques autres. Ils furent ensuite rejoints par Raoul de Noyon (sur Andelle). Avant de partir, ils procédèrent le dimanche à l’élection de leur abbé

Extrait de la chronique du Valasse, vue 35/549 (ADSM, 18HP 28) correspondant au texte de Somménil ci-dessous ;
les mots qui précèdent et suivent sont barrés. Richardum de Bloxevilla est souligné.

« Hi, cum mittendi fuissent, elegerunt abbatem, in dominica quadam, scilicet Richardum quem diximus de Bloxevilla, virum negotiis utilem ut ipsis effectibus est declaratum ».« Leur choix se porta sur Richard, de Blosseville comme déjà dit, homme d’une grande efficacité comme en témoigne le bilan de son action ».

La communauté quitta Mortemer en procession le lundi, suivi par les abbés d’Ourscamp, de Lannoy et Etienne de Mortemer. Ils se retrouvèrent à Rouen, prirent leur repas chez le vénérable Laurent archidiacre, bien connu des frères de Mortemer. Après le repas, arriva Richard. Ayant reçu une convocation, il venait du Valasse où il assurait la garde du domaine depuis le départ des moines de Bordesley. Les abbés l’informèrent «  ils t’ont élu abbé, tu dois t’incliner devant leur décision ».

Ensuite, la communauté prit place dans une barque pour se rendre de l’autre côté de la Seine. Les abbés prirent un autre itinéraire et tous se dirigèrent « vers les prairies situées en bordure du fleuve » où ils rencontrèrent les deux Mathilde, l’Impératrice et sa demi-soeur, abbesse de Montivilliers13Mathilde, abbesse de Montivilliers était la fille d’une maitresse de Henri I. Selon Somménil, les abbés auraient pu emprunter le pont de pierre financé (entre 1151 et 1167) par Mathilde impératrice. Le nom du pont Mathilde actuel rappelle le nom de cette bâtisseuse. Les abbés ont également pu traverser sur le pont de bois qui avait été réparé par Geoffroy son mari. La résidence normande de Mathilde était rive gauche, le manoir du Pré, proche du Prieuré du Pré de Bonne Nouvelle. Après des paroles d’encouragement, et l’engagement que les promesses seraient tenues, une fois les barques chargées de vivres, les moines descendirent la Seine, y compris la nuit suivante, pour arriver le mardi à Quillebeuf ». A cette époque, le Quillebeuf sur Seine d’aujourd’hui (en rive gauche) était un port. Ils durent donc retraverser la Seine pour se rendre sur le lieu du Voeu qui se situe en rive droite entre Lillebonne et Gruchet le Valasse, mais ce trajet n’est pas relaté dans la chronique.

« Quant aux abbés, ils passèrent la nuit à Rouen car le lendemain, jour de la Saint-Barnabé, Richard l’élu, reçut sa bénédiction abbatiale. Après cette cérémonie, les abbés partirent vers le Voeu. Ainsi le mercredi la communauté et les abbés se rejoignirent sur les lieux ». La date du mercredi 12 juin 1157 marque la fondation de Notre Dame du Voeu14Galéran IV de Meulan mit une année pour reconnaître cette décision et restituer aux moines sa donation antérieure qu’il augmenta ; voir ADSM numérisées, 18 HP 1/12 et 13.. Dès le lendemain, les moines firent leurs professions à leur abbé.

Extrait de la chronique de Robert Torigni (1105-1186) publiée par L. Delisle. Tome 2 p 164. Description de la fondation en 1157.
Extrait de la Neustra Pia, 1663 p. 856. Les pages 848-861 sont consacrées à l’abbaye de Valasse (Valacia). Arthur Du Monstier (1586-1662).

Plusieurs documents attestent de son action : il est parfois nommé, souvent, seule l’initiale R. est mentionnée. Ci-dessous, quelques exemples.

En 1162, Louis VII, roi de France, donne aux moines de Notre-Dame du Vœu, à la demande de l’abbé Richard, l’exemption de la coutume sur le vin à leur propre usage15« Acte 9576 », dans SCRIPTA. Base des actes normands médiévaux, dir. Pierre Bauduin, Caen, CRAHAM-MRSH, 2010-2019. [En ligne] https://www.unicaen.fr/scripta/acte/9576..

Extrait de la donation du roi Louis VII. exemptant les moines de la coutume sur le vin,
en réponse à la demande de l’abbé Richard (souligné) : ADSM, 18 HP 7/12

Traduction des 3 lignes ci dessus :

 « Pour l’âme de nos ancêtres et la rémission de nos péchés, nous avons donné à l’église et aux frères de Voto, à la demande de l‘abbé Richard, pour tout le vin dont ils ont usage, qu’il résulte de leur travail, de dons ou d’achats..

Le 17 mars 1167, l’archevêque Rotrou de Warwick16Rotrou de Warwick ou de Beaumont a été évêque d’Evreux de 1139 à 1165 puis archevêque de Rouen jusqu’à sa mort le 26 novembre 1183. prend l’abbaye de Notre-Dame du Vœu sous la protection de l’église de Rouen et décide que toutes les donations faites et à venir doivent demeurer fermement attachées à l’abbaye. Le 16 Avril 1168, il confirme des donations faites à l’abbaye par plusieurs fidèles17ADSM, archives numérisées, onglet des chartes et sceaux, 18 HP 5/1 et 18 HP 7/2 (et copie des chartes de donation).. Chaque document (ci-dessous) commence par la même phrase « Rotrou, par la grâce de Dieu, archevêque de Rouen, à ses fils bien-aimés Richard, l’abbé du Voeu et ses frères professant d’être réguliers et perpétuels… » 

Début de la première ligne de la charte du 17 mars 1167. ADSM, 18 HP 5/1. Souligné «  à ses fils bien aimés, Richard abbé du Voeu…  »

En 1165, Mathilde impératrice, fit intervenir Richard auprès du pape Alexandre III pour tenter une conciliation dans le conflit majeur opposant son fils, le roi d’Angleterre Henri II, à Thomas Becket. En 1171, après le meurtre de Thomas Becket, Richard se rendit à Rome à la tête d’une délégation pour éviter l’excommunication d’Henri II. Ce rôle d’émissaire « dans le drame Thomas Becket » est détaillé dans un article spécifique.

En 1171, l’ évêque de Lisieux, Arnoul (1105-1184) 18lettre N° 181 p 210-211 in  Arnoul de Lisieux (1105-1184). Lettres d’un évêque de cour dans l’embarras par Egbert Türk. Brepols Publishers, Belgique. 2018, comprenant en annexe les lettres transcrites en latin par F. Barlow (Camden Society, London 1939. évoque l’abbé du Valasse, Richard « homme pieux et vénérable », « homme patient et de grande clémence ».

«« pendant les dix huit années qu’il avait présidé à l’abbaye du Voto, il l’avait développée en acquérant des terres et des forêts, en construisant de belles et grandes maisons »19 BnF département des manuscrits. Latin 18369 folio 18 et 19, cf portail Biblissima..

A côté de ces bâtiments conventuels, il assuma probablement les fondations20Lindy Grant. The architecture of the early savignacs and cistercians in normandy. in Anglo-Norman Studies X. Proceedings of the Battle Conference 1987. Ed by Allen Brown. The Boydell Press.1988, 111-144 cf p. 115. de l’église abbatiale car il fallut le temps qu’elle soit parfaitement achevée en 1181 lors de sa dédicace, en présence d’ Henri II, par l’évêque de Bayeux et l’archevêque de Rouen, assistés des évêques d’Avranches et de Bath.

Initiateur de la bibliothèque, il commença par rassembler des livres « Divinos Codices passim colligendo« .

Ruines de l’abbaye de Mortemer. Source Plateforme Ouverte du Patrimoine (POP). Photo : P. Genestoux, 2007.

La chronique de Mortemer

Le manuscrit de la chronique de l’abbaye de Mortemer qui débute le cartulaire21Ch. V. M. Langlois. Notice sur le cartulaire de Mortemer. Contribution à l’histoire de l’abbaye. Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie. Tome XIII (années 1883, 1884, 1885). Caen, 1885, pp 94-118. a été écrit entre 1198 et 119922Olivia Burgard. La chronique de l’abbaye cistercienne de Mortemer in Maîtriser le temps et faconner l’histoire. Les historiens normands au Moyen Age. Presse Universitaire de Caen, F. Paquet. Caen 2022, 183-200. La notice (gesta abbatum) qui est consacrée à Richard, le quatrième abbé, est relativement courte23BnF département des manuscrits. Latin 18369 folio 18 et 19, cf portail Biblissima.(ci-dessous).

Extrait de la chronique du cartulaire de Mortemer (rédigée avant 1199).
BnF m. latin n°18369, folio 18 v-19. Les flèches encadrent les lignes consacrées à Richard.

Cette notice24Cette notice est résumée également dans la Neustra Pia, Arthur du Monstier, 1663, p 716/936. Le début citant l’origine normande et noble est repris dans Galla Christinia in Provincia Ecclesiasticas  distributa. Domni Dionyssii Sammarthani. Domni Pauli Piolin. Paris. 1874.Tome XI. Abbaye de Mortemer p 307-313. Accessibles via Gallica. débute par le rappel qu’il est normand de famille noble, « noble aussi de caractère, affable et sachant pardonner à ceux qui l’avaient blessé. Il était de ces hommes sages prudent dans les questions et les réponses ».

Abbaye de Mortemer (Mortuum-Mare). Paragraphe consacré à Richard de Blosseville, correspondent à la transcription du manuscrit ci-dessus.
Extrait de Neustra Pia, Arthur du Monstier, 1663, p 716/936. Les pages consacrées à cette abbaye : 768-784.

« Quand il prit le gouvernement de Mortemer, il trouva l’abbaye grevée par de lourdes dettes qu’il prit soin d’apurer ».

« Il construisit également de nouvelles et grandes fermes et a acquis des terres pour le futur ».

Le choeur de l’église abbatiale dont la construction avait débuté sous Etienne fut érigé pendant son abbatiat25Jean Baptiste Vincent. Nouvelles données architecturales à l’abbaye Notre-Dame de Mortemer : sondages dans l’infirmerie in Journées Archéologiques de Haute-Normandie ; Luc Liogier et Marie-Clotilde Lequoy (eds). Presses Universitaires de Rouen et du Havre. 2013. Mt St Aignan. p 193-212 /218.

La fin de la notice est peu explicite sur les raisons de la fin de ses fonctions le 25 Août 1179, après cinq années « Dum autem per quinque fere annos praesuisset pastoralem curam dimisit … ». Une lettre d’Arnoul, évêque de Lisieux26Lettre d’Arnoul de Lisieux à Pierre, abbé de Clairvaux à la fin de l’année 1179, lettre N°117. p 273-274 et 521-522 in  Arnoul de Lisieux (1105-1184). Lettres d’un évêque de cour dans l’embarras par Egbert Türk. Brepols Publishers, Belgique. 2018, comprenant en annexe les lettres transcrites en latin par F. Barlow (Camden Society, London 1939., apprend qu’il a été déposé par sa hiérarchie, en l’occurence par Pierre de Cîteaux. Selon Arnoul, la décision aurait été prise à la suite de propos malveillants, notamment véhiculés par Guy, l’abbé d’Ourscamp (abbaye proche de Noyon, Oise) qui « a prêté l’oreille plus que de raison aux détracteurs ». Arnoul s’étonne, qu’après sa destitution, Richard ait été confié à la garde de cet abbé d’ Ourscamp « dont on dit qu’il le traite moins bien qu’il ne devrait... ».

Cette lettre d’Arnoul de 1179 à Pierre de Clairvaux est aussi un éloge dont nous tirons les extraits suivants27Traduction empruntée à Egbert Türk, (2018) op. cit. :

 « Richard de Blosseville a reçu de nos mains tous les ordres jusqu’à la prêtrise, avant de se voir conférer un bénéfice. Après s’être fait remarquer louablement auprès de nous par son service en tant que séculier, il a mérité, soumis au joug d’une existence plus sévère, d’être recommandé par ses mœurs à porter l’habit de votre ordre (cistercien). À la fin, il fut promu abbé, récompense d’une vie remarquable, et il brilla dans votre ordre telle une lumière, exemple pour ses subordonnés d’une conduite vertueuse, et il a su gagner la sympathie des princes pour votre ordre entier ».

Arnoul de Lisieux rappelle à son correspondant, Pierre de Clairvaux, les liens de Richard de Blosseville avec Henri II : « il faut que vous sachiez que notre prince (Henri II) serait ravi et qu’il se sentirait très obligé envers vous, si vous pouviez trouver un statut utile et digne pour celui à qui il a été si longtemps étroitement lié par une sincère affection ».

Plusieurs raisons suggèrent que le toponyme « de Blosseville » désigne bien notre village. Les historiens cités ci-dessus font tous ce lien. Résumons ces arguments : (i)  les propos tenus à Adam (abbé de Mortemer) par l’abbé du Bécheron, (ii) les noms des autres moines normands présents à Bécheron, (iii) sa notice biographique rédigée en 1198-99, le présentant comme un noble normand.

Véronique Gazeau28V. Gazeau. « Jalons pour une enquête prosopographique : les abbés cisterciens de Normandie in «  Le pouvoir et la foi au Moyen Age en Bretagne et dans l’Europe de l’Ouest : mélanges en mémoire du professeur Hubert Guillotel. J Quagheheur et S. Soleil. dir. PU de Rennes, 2010 p. 81-87., s’appuyant sur les recherches de Barbara English29Barbara English. The counts of Aumale and Holderness 1086-1260.  PhD Thesis. 1977. 504 p. University of St Andrews. http://hdl.handle.net/10023/15292. , suggère que Richard était issue d’une famille ayant des possessions de chaque côté de la Manche. Cette famille de Blosseville  serait une famille vassale des comtes d’Aumale dont les terres anglaises étaient dans le Holderness.  Des chartes attestent de donations par les comtes d’Aumale de la dime de Blosseville. Il existe des liens entre les comtes d’Aumale (notamment Guillaume le Gros) et Jordan de Blosseville, lequel était sheriff du Lincolnshire en 1157-830Battle Abbey Roll with some account of the norman lineages by the duchess of Cleveland, volume 1, London, John Murray, 1889 ; p. 352. tenant des terres dans le Surrey et mort en 1167 : il est possible que Richard soit apparenté à cette lignée. Nous devrons réunir les documents pour remonter ces  généalogies : la lecture des chartes des comtes d’Aumale pourrait être informative…Ainsi, nous pourrions aussi savoir quelles furent les premières années de Richard avant 1150.

Références

  • 1
    Cette chronique se situe au début du cartulaire de l’abbaye Notre-Dame-du-Voeu du Valasse, site des ADSM, registre des séries anciennes : Cote 18 HP 28, qui comporte 549 vues, cette chronique occupant de 17 à 38.
  • 2
    Du Monstier, Arthur (1586-1662). Neustria pia, seu de omnibus et singulis abbatiis et prioratibus totius Normaniae. 1663. Rouen. 936p. Valacia p. 848-861. Les dénominations recensées par Du Monstier (p. 848) sont Valacia, Vallasia, Valatia, Valace, Vallis-Azonis, Vale-Aze.
  • 3
    F. Somménil. Chronicon Valassense. Rouen. 1868. Accessible via Gallica. 120p.
  • 4
    Jacques Le Maho. Chronicon Valassense (Chronique du Valasse) in Le Valasse. Fondations, Evolution, et gestion d’une seigneureie ecclésiastique du XII au XVIII è siècle. Alain Avenel, Jean-Marie Cahagne, Eric Follain, Alexis Grélois. Jacques le Maho.Tome 1. Ed des Falaises, 2009, 15-26.
  • 5
    Une autre source contemporaine, succincte, est la Chronique de Robert de Torigni (1105-1186), abbé du Mont-Saint-Michel ; suivie de divers opuscules historiques de cet auteur et de plusieurs religieux de la même abbaye, publiée par Léopold Delisle. A Le Brument. Libraire de la société de l’histoire de Normandie. Rouen vol 2,1853, p 164-65/ 417.
  • 6
    ou l’Emperesse, ainsi dénommée depuis son mariage en 1114 avec l’empereur germanique Henri V, dont elle devint veuve en 1525. Son père Henri I er roi d’Angleterre la maria en 1128 à Geoffroy Plantagenêt dont elle eut en 1133 le futur Henri II. Marjorie Chibnall,The Empress Matilda: Queen Consort, Queen Mother and Lady of the English, London, Blackwell, 1991. ADSM, 941.020 92 CH
  • 7
    Alexis Grélois ; Les origines de l’abbaye du Valasse in Le Valasse 2009, op. cit. pages 49-65.
  • 8
    Traduction empruntée à J. Le Maho.
  • 9
    F. Somménil, op cit. p. 109-112. et Jacques Le Maho : La fondation du Valasse racontée par les chartes in Le Valasse 2009, op. cit. p 33-34.
  • 10
    ADSM numérisées, onglet des chartes et sceaux puis cote 18 HP 7/13. Mathilde en cela poursuivait l’oeuvre de son père Henri Ier qui avait fait des dons pour Mortemer dès 1134.
  • 11
    Les frères convers avaient moins d’obligations religieuses que les moines, ne participaient pas à la cléricature (élection des différents représentations), leur mission était de s’occuper des tâches matérielles.
  • 12
    Arnaud avait été l’abbé de Pinokesire, dépendant de Bordesley.
  • 13
    Mathilde, abbesse de Montivilliers était la fille d’une maitresse de Henri I. Selon Somménil, les abbés auraient pu emprunter le pont de pierre financé (entre 1151 et 1167) par Mathilde impératrice. Le nom du pont Mathilde actuel rappelle le nom de cette bâtisseuse. Les abbés ont également pu traverser sur le pont de bois qui avait été réparé par Geoffroy son mari. La résidence normande de Mathilde était rive gauche, le manoir du Pré, proche du Prieuré du Pré de Bonne Nouvelle. 
  • 14
    Galéran IV de Meulan mit une année pour reconnaître cette décision et restituer aux moines sa donation antérieure qu’il augmenta ; voir ADSM numérisées, 18 HP 1/12 et 13.
  • 15
    « Acte 9576 », dans SCRIPTA. Base des actes normands médiévaux, dir. Pierre Bauduin, Caen, CRAHAM-MRSH, 2010-2019. [En ligne] https://www.unicaen.fr/scripta/acte/9576.
  • 16
    Rotrou de Warwick ou de Beaumont a été évêque d’Evreux de 1139 à 1165 puis archevêque de Rouen jusqu’à sa mort le 26 novembre 1183.
  • 17
    ADSM, archives numérisées, onglet des chartes et sceaux, 18 HP 5/1 et 18 HP 7/2 (et copie des chartes de donation).
  • 18
    lettre N° 181 p 210-211 in  Arnoul de Lisieux (1105-1184). Lettres d’un évêque de cour dans l’embarras par Egbert Türk. Brepols Publishers, Belgique. 2018, comprenant en annexe les lettres transcrites en latin par F. Barlow (Camden Society, London 1939.
  • 19
     BnF département des manuscrits. Latin 18369 folio 18 et 19, cf portail Biblissima.
  • 20
    Lindy Grant. The architecture of the early savignacs and cistercians in normandy. in Anglo-Norman Studies X. Proceedings of the Battle Conference 1987. Ed by Allen Brown. The Boydell Press.1988, 111-144 cf p. 115.
  • 21
    Ch. V. M. Langlois. Notice sur le cartulaire de Mortemer. Contribution à l’histoire de l’abbaye. Bulletin de la Société des Antiquaires de Normandie. Tome XIII (années 1883, 1884, 1885). Caen, 1885, pp 94-118.
  • 22
    Olivia Burgard. La chronique de l’abbaye cistercienne de Mortemer in Maîtriser le temps et faconner l’histoire. Les historiens normands au Moyen Age. Presse Universitaire de Caen, F. Paquet. Caen 2022, 183-200.
  • 23
    BnF département des manuscrits. Latin 18369 folio 18 et 19, cf portail Biblissima.
  • 24
    Cette notice est résumée également dans la Neustra Pia, Arthur du Monstier, 1663, p 716/936. Le début citant l’origine normande et noble est repris dans Galla Christinia in Provincia Ecclesiasticas  distributa. Domni Dionyssii Sammarthani. Domni Pauli Piolin. Paris. 1874.Tome XI. Abbaye de Mortemer p 307-313. Accessibles via Gallica.
  • 25
    Jean Baptiste Vincent. Nouvelles données architecturales à l’abbaye Notre-Dame de Mortemer : sondages dans l’infirmerie in Journées Archéologiques de Haute-Normandie ; Luc Liogier et Marie-Clotilde Lequoy (eds). Presses Universitaires de Rouen et du Havre. 2013. Mt St Aignan. p 193-212 /218.
  • 26
    Lettre d’Arnoul de Lisieux à Pierre, abbé de Clairvaux à la fin de l’année 1179, lettre N°117. p 273-274 et 521-522 in  Arnoul de Lisieux (1105-1184). Lettres d’un évêque de cour dans l’embarras par Egbert Türk. Brepols Publishers, Belgique. 2018, comprenant en annexe les lettres transcrites en latin par F. Barlow (Camden Society, London 1939.
  • 27
    Traduction empruntée à Egbert Türk, (2018) op. cit.
  • 28
    V. Gazeau. « Jalons pour une enquête prosopographique : les abbés cisterciens de Normandie in «  Le pouvoir et la foi au Moyen Age en Bretagne et dans l’Europe de l’Ouest : mélanges en mémoire du professeur Hubert Guillotel. J Quagheheur et S. Soleil. dir. PU de Rennes, 2010 p. 81-87.
  • 29
    Barbara English. The counts of Aumale and Holderness 1086-1260.  PhD Thesis. 1977. 504 p. University of St Andrews. http://hdl.handle.net/10023/15292. 
  • 30
    Battle Abbey Roll with some account of the norman lineages by the duchess of Cleveland, volume 1, London, John Murray, 1889 ; p. 352.

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