Au mur ouest de la Chapelle de la Vierge de l’église de Blosseville, est accrochée la seule toile présente dans l’édifice. Mesurant environ 170 X 140 cm, d’un aspect défraîchi, elle n’attire pas spontanément l’œil du visiteur, qui se porte plus volontiers sur les emblématiques vitraux ou les statues. Pourtant ce tableau, classé au titre des objets historiques dès 1913, est intéressant à plus d’un titre, comme l’a souligné Bernadette Chaignet-Sortais dans son ouvrage consacré à l’église1 et à qui cette présentation doit beaucoup.
Que représente le tableau ?
Au centre du tableau, le Christ assis lève la main droite. De part et d’autre, au bas de la toile, quatre très jeunes filles sont agenouillées, deux à gauche, deux à droite. Les deux les plus proches du Christ, vêtues de riches robes, lui font présent, l’une d’une lettre, l’autre d’un cœur. Chacune d’elles est présentée ou assistée par une religieuse, flanquée d’un ange.
Dans la partie haute, entourant la colombe du Saint-Esprit irradiant la scène de ses rayons, deux anges, entourés de plusieurs angelots s’apprêtent à couronner les deux religieuses et les deux écolières proches du Christ. Sur le sol carrelé d’un damier noir et blanc, un cartouche indique que « ce tableau appartient aux escolières externes » et fut fait en 1645. Suit une signature, N De Ronssoy.
Qui est N de Ronssoy ?
Ronssoy est le nom d’un village situé à 60 km à l’est d’Amiens ; en revanche on ne trouve aucune trace d’un peintre De Ronssoy dans les dictionnaires spécialisés.
Mais trois autres toiles signées De Ronssoy ont été identifiées, deux R De Ronssoy (dont une œuvre à la cathédrale de Beauvais) et une N De Ronssoy, dans l’église de Gyé-sur-Seine dans l’Aube, intitulé « la communion d’une sainte ».
La graphie des deux signatures est identique.
Le tableau de Gyé-sur-Seine porte lui-aussi un cartouche indiquant qu’il a été donné par un notable d’Amiens, David Quignon, en 1637, à un couvent dont sa fille, soeur Françoise du Saint-Esprit, était la supérieure.
Que fait ce « tableau des écolières » dans l’église de Blosseville ?
Aucune mention d’un donateur n’existe sur le tableau. En revanche, l’inventaire des biens de l’église effectué en 1906, en application de la loi de séparation de l’Église et de l’État, indique qu’un tableau représentant des Visitandines a été revendiqué par Mr Devismes.
Il est très probable que cette personne soit Paul Emile De Visme, maire de Blosseville durant 20 ans, jusqu’en 1904, année du mariage de sa fille dans l’église du village. Mr De Visme aurait-il à cette occasion fait don à l’église du tableau en question ? En ce cas, s’il s’agit d’un tableau de famille, il pourrait avoir été commandé à sa création en 1645 par un ancêtre de Visme. La généalogie conduit à Mr Jean De Vismes (1600-1660), personnage éminent de la ville d’Amiens à cette époque.
Ce notable aurait pu faire ainsi représenter un évènement familial lié à un couvent qui accueillait des écolières « externes » (i.e. non pensionnaires). Il n’en manquait pas à Amiens où dès les années 1610 s’étaient installées les Ursulines, un ordre porté sur l’éducation, alors que les Visitandines ne s’implantèrent qu’en 1640.
Des coïncidences qui éveillent la curiosité
Si l’origine du tableau de Blosseville est bien celle décrite ci-dessus, on ne peut manquer de faire un rapprochement avec celui de Gyé-sur-Seine, également classé en 1913. Tous deux évoquent un couvent de religieuses et auraient été commandés à N. De Ronssoy au XVIIe siècle par des notables amiénois.
C’est également suite à un don que le tableau se trouve dans l’église de Gyé ; Madame Louise Bouton en a fait don en 1869 le jour de son mariage en cette église avec Mr Émile Caye. Cette donatrice est décédée 10 ans plus tard, deux ans avant son mari, mort dans un petit village où il avait visiblement une résidence…Veules les Roses, à 2 km de Blosseville ! A suivre…
- Bernadette Chaignet-Sortais – L’église Saint-Martin de Blosseville-sur-Mer – 2021 – Ed. Blosseville Histoire Vivante ↩︎