Saint Martin en cavalier

Martin est né vers 316 en Hongrie (dans la ville actuelle de Szombathely, cent kms à l’Est de Vienne) fondée à l’époque romaine sous le nom de Soubaria où son père militaire était en garnison. Il fut élevé à Pavie (Lombardie, Italie). Le premier récit historique et hagiographique (en 397) est celui de Sulpice Sévère (363-420)1Sulpice Sévère (363-420). Vie de Saint Martin traduit du latin par M Richard Viot, Tours, 1861, 133 p., un lettré bordelais qui deviendra un de ses disciples.

Le manteau partagé ou la Charité Saint Martin.

Martin dut s’engager à l’âge de 15 ans dans l’armée pour remplacer son père devenu vétéran. Il appartenait à un corps de cavalerie et fut envoyé à Amiens qui se situait alors à un carrefour stratégique : « un jour, au milieu d’un hiver ….Martin n’ayant que ses armes et son manteau de soldat, rencontra à la porte d’Amiens un pauvre presque nu…il ne possédait que le manteau dont il était revêtu, car il avait donné tout le reste ; il tire son épée, le coupe en deux en donne la moitié au pauvre et se revêt du reste….La nuit suivante, Martin s’étant endormi vit Jésus-Christ revêtu de la moitié du manteau dont il avait couvert la nudité du pauvre.. ».

Cet épisode du manteau partagé est désigné comme la Charité St Martin. Ce premier récit ne spécifie pas que Martin était à cheval et dans la plus ancienne représentation connue, une miniature ornant le Sacramentaire de Fulda (Allemagne, en Hesse) datant de 975, Martin est en soldat à pied aux côtés du pauvre2Labarre Sylvie : Le manteau partagé, deux métamorphoses poétiques de la vie de Saint Martin chez Paulin de Périgueux (V ème siècle) et Venance Fortunat (VI ème siècle). Institut d’Etudes Augustiniennes.158, 1998, Collection des Etudes Augustiniennes. Série Antiquité. hal-02472064.. Cette représentation souligne la simplicité et la proximité de Martin avec le pauvre. De même le bas relief du XIII ème siècle sur le portail de la Calende de la cathédrale de Rouen montre un jeune chevalier sans armure3Jean Fournée : L’iconographie des saints thaumaturges :Évolution idéologique du thème de la « Charité de saint Martin » in Les saints dans la Normandie médiévale. P. Bouet et F. Neveux, Eds 2000, PU Caen pp 205-19/332..

A Blosseville, cette statue du XVII ème siècle semble bien plus ostentatoire : le cheval est majestueux avec son harnais décoré et le cavalier est somptueusement habillé de la tête au chapeau. L’intention est plus de montrer un homme riche qu’un homme d’armes. Cette statue illustre comment au fil des siècles s’est opéré le glissement idéologique de la représentation de la Charité de Saint Martin, l’homme simple et ascétique devenant un homme riche, tel ce Martin représenté en hidalgo de Tolède peint par Le Greco (1541-1614) à la fin du XVI ème siècle (ci-dessous). 

Saint Martin et le mendiant, Le Greco : fin XVI ème siècle (extrait de l’exposition du Grand Palais, 2019-2020)

A Blosseville, Martin se retourne vers un pauvre absent qu’il faut l’imaginer dans sa situation habituelle à l’arrière du cheval, telle cette statue du pauvre affublé d’une prothèse de jambe dans l’église St Martin de Veules.

Actuellement, cette statue repose et déborde d’une console adossée au pilier sud ouest du clocher mais Madame Chaignet-Sortais 4Chaignet-Sortais Bernadette. L’église saint-Martin de Blosseville sur Mer. Blosseville Histoire Vivante, 2021.a bien montré qu’au XVII ème siècle5ADSM, 7H822. Archives de l’abbaye de Fécamp. En 1691, procès verbal des réparations à faire au choeur de l’église de Blosseville. sa place était dans le choeur.

Après cet épisode amiénois, Martin, soldat de la garde impériale de Julien (dit l’Apostat, 331-363) était présent à Worms (Sud Ouest de l’Allemagne) la veille de la bataille contre les « Barbares ». Refusant le combat «  je suis soldat du Christ, il ne m’est plus permis de combattre »… «  Martin fut exposé sans armes devant l’ennemi », lesquels « envoyèrent des ambassadeurs pour traiter de la paix… ». Ce prodige fut suivi de beaucoup d’autres qu’on ne peut détailler.

Les moments principaux en suivant la chronologie de Sulpice Sévère sont qu’ayant quitté l’armée, Martin se rendit auprès d’Hilaire (315-367), grand théologien et évêque de Poitiers, puis il traversa les Alpes, retrouva ses parents en Illyrie (Croatie actuelle) mais ne put convertir que sa mère. De retour en Italie, il fut persécuté à Milan par les disciples d’Arius (l’arianisme était considéré comme une hérésie depuis le premier concile de Nicée en 325) et se réfugia pour vivre en ascète pendant une année dans l’île de Gallinaria à deux kilomètres au large d’Albena sur la côte Ligurienne 6Elisée Reclus. Les villes d’hiver de la Méditerranée et les Alpes maritimes. Collection Guides-Joanne, Paris Hachette, 1864 pp 482-483/501..

Après un passage par Rome, Martin retrouva Hilaire qui rentrait d’exil. A une dizaine de kilomètres de Poitiers, à Ligugé, Martin se retira avec quelques disciples, formant une communauté qui a posteriori peut être considérée comme le début du monachisme en Gaule.

Au bout d’une dizaine d’années, sa réputation de guérisseur, ses miracles incitèrent le peuple à l’extraire de sa solitude « pour le conduire à Tours sous bonne garde ». Il fut ordonné évêque de Tours en 371, malgré l’opposition de quelques évêques jugeant qu’un « homme d’un extérieur aussi négligé, de si mauvaise mine, la tête rase et si mal vêtu était indigne de l’épiscopat… ».

La statue de St Martin en évêque vous attend pour la suite de l’histoire de ce voyageur « européen » hors du commun.

Nb : Toutes les citations ci-dessus ont été extraites du texte de Sulpice Sévère.

Références

  • 1
    Sulpice Sévère (363-420). Vie de Saint Martin traduit du latin par M Richard Viot, Tours, 1861, 133 p.
  • 2
    Labarre Sylvie : Le manteau partagé, deux métamorphoses poétiques de la vie de Saint Martin chez Paulin de Périgueux (V ème siècle) et Venance Fortunat (VI ème siècle). Institut d’Etudes Augustiniennes.158, 1998, Collection des Etudes Augustiniennes. Série Antiquité. hal-02472064.
  • 3
    Jean Fournée : L’iconographie des saints thaumaturges :Évolution idéologique du thème de la « Charité de saint Martin » in Les saints dans la Normandie médiévale. P. Bouet et F. Neveux, Eds 2000, PU Caen pp 205-19/332.
  • 4
    Chaignet-Sortais Bernadette. L’église saint-Martin de Blosseville sur Mer. Blosseville Histoire Vivante, 2021.
  • 5
    ADSM, 7H822. Archives de l’abbaye de Fécamp. En 1691, procès verbal des réparations à faire au choeur de l’église de Blosseville.
  • 6
    Elisée Reclus. Les villes d’hiver de la Méditerranée et les Alpes maritimes. Collection Guides-Joanne, Paris Hachette, 1864 pp 482-483/501.

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