Sainte Clotilde

L’histoire de Clotilde selon Grégoire de Tours

Clotilde naquit probablement à Lyon vers 474, son père Chilpéric servit l’Empire et fut récompensé par Glycérius (empereur 473-474), sa mère Carétène était chrétienne. Notre connaissance repose essentiellement sur les écrits de Grégoire de Tours (538-594)1Grégoire de Tours. L’histoire des rois francs. Traduit du latin par J.J.E. Roy. Folio Histoire. 2022. 286 p., historien majeur des faits du VI ème siècle dont il a été témoin. Pour relater les évènements du siècle de Clotilde, il disposait 2Godefroy Kurth. Sainte Clotilde. Librairie Victor Lecoffre. Paris 1905,182p. Accessible via Gallica. (i), d’une « vie de saint Rémi (437-533) », manuscrit aujourd’hui disparu dans lequel il a pu lire le récit de la conversion de Clovis (466-511), (ii) de la tradition locale de l’église de Tours, où il fut évêque dès 573, lui permettant d’entendre d’anciens tourangeaux qui avaient pu côtoyer Clotilde pendant ses dernières années, et (iii) beaucoup plus sujets à caution, des récits de la tradition populaire et son lot de légendes à propos des populations franques.

Enfance de Clotilde et mariage avec Clovis

C’est à cette dernière source que Grégoire de Tours a puisé le récit suivant 3Ce récit de Gondebaud, comme bourreau des parents de Clotilde est réfuté par plusieurs auteurs dont Godefroy Kurth qui invoque les lettres d’Avit de Vienne.« Gondeuch, roi des Bourguignons, avait eu quatre fils : Gondebaud, Godésile, Chilpéric et Godomar. Gondebaud fit périr son frère Chilpéric par le glaive et fit jeter dans l’eau sa femme avec une pierre attachée au cou. Il condamna ses deux filles à l’exil ; l’aînée se nommait Mucuruna, et la plus jeune Clotilde. Elles vivaient toutes les deux dans la retraite , et avaient changé les habits de la cour pour des habits de deuil. Les ambassadeurs que Clovis avait envoyés en Bourgogne eurent l’occasion de voir la jeune Clotilde ; ils admirèrent sa grâce et sa sagesse ; apprenant qu’elle était de race royale, ils firent part de leur découverte à Clovis. Aussitôt celui-ci envoya demander à Gonebaud sa nièce en mariage… ».

« Clovis fut ravi de joie, et bientôt il la prit pour épouse. » Ce mariage eu lieu vraisemblablement à Soissons vers 500. Clovis avait déjà un fils Théodoric plus connu sous le nom de Thierry.

Clotilde et le baptême de Clovis

Le récit de Grégoire de Tours détaille le baptême des deux premiers enfants. L’ainé Ingomer mourut rapidement suscitant l’accusation de Clovis « c’est parce que vous l’avez baptisé au nom de votre Dieu que nous l’avons perdu ». Le second, Clodomer, survécut à la maladie. La conversion de Clovis est située au moment de la victoire de Tolbiac (aujourd’hui Zülpich, Rhénanie du Nord-Westphalie, Allemagne) contre les Alamans en 496 « il revint triomphant à la tête de son armée raconter à Clotilde comment, pour avoir invoqué le Christ, il avait obtenu la victoire ». 

Le baptême de Clovis par Rémi, évêque de Reims abaisse humblement la tête, fier Sicambre ; adore ce que tu as brûlé, brûle ce que tu as adoré ») et de « plus de trois mille de son armée » eut lieu un Noël mais les historiens ne s’accordent pas sur la date, variant entre 496 et 506… Les lettres envoyées par Avit (450-525) évêque de Vienne sont les informations les plus fiables pour cette période4Ulysse Chevalier. Regeste Dauphinois. Répertoire chronologique et analytique….des origines chrétiennes à l’année 1349. 1913, Tome 1, fascicules 1-3, page 29, n° 159. Accessible via Gallica.  5Luce Petri, Roland Delmaire, Janine Desmulliez, Pierre-Louis Gatier. Les lettres d’Avit de Vienne. La correspondance d’un évêque « politique ». MOM Editions, 2009, 40, 311-331. Accessible via portail Persée.

Le baptême de Clovis : représentation symbolique. Le St Esprit apporte les saintes huiles qui seront utilisées pour le sacre des rois de France. Ste Clotilde est debout, nimbée. A genoux, probablement Jeanne de Bourgogne, première épouse de Philippe VI, morte en 1348.
Edition 1325-1350. Archives et Manuscrits de la BNF accessible via Gallica.

Ce baptême et ses représentations (cf., ci-dessus) allaient symboliser pour les siècles suivants l’alliance de l’Eglise et de la monarchie, un mythe fondateur de la France qui suscita de nombreuses relectures de l’histoire et les affrontements entre catholiques et anticléricaux6Christian Amalvi. Le baptême de Clovis : heurs et malheurs d’un mythe fondateur de la France contemporaine, 1814-1914. Bibliothèque de l’école des Chartes, 1989, 147, 583-610. au XIX ème siècle.

La mort de Clovis le 27 novembre 511

Grégoire de Tours décrit les exactions de Clovis et les résume ainsi «  Clovis ayant fait mourir plusieurs autres rois et ses plus proches parents parce qu’il redoutait leur ambition, étendit sa domination sur toutes les Gaules …».« Il avait vécu quarante-cinq ans et régné trente ». Les quatre fils de Clovis se partagèrent le royaume ; Thierry à Metz, Clodomer à Orléans, Clotaire à Soissons, Childebert à Paris.

Les longues années éprouvantes du veuvage de Clotilde

Clotilde priant St Martin, scène du manteau partagé (la charité St Martin).
Département des manuscrits français, 2813. Grande chronique de France de Charles V ; date de fabrication 1375-1380.
Folio 23 r. Copiste : Henri du Trévou. Accessible via Gallica.

« Après la mort de son mari, la reine Clotilde se retira à Tours. Elle passa tout le reste de sa vie dans cette ville, se signalant par la pratique de la vertu et des bonnes oeuvres ; elle n’allait que rarement à Paris ».  Cette paisible description des dernières années près du tombeau de Saint Martin contraste avec la suite, pourtant rapportée par le même biographe…

Ainsi elle aurait incité ses fils à la guerre contre leurs apparentés bourguignons Sigismond et Godomar « vengez avec constance la mort de mon père et de ma mère ». A l’issue de cette guerre, elle perdit son fils Clodomer  et « après les jours de deuil, la reine Clotilde recueillit les trois enfants de Clodomer… »

Elle subit le décès de sa fille Odile qui avait été donnée en mariage au roi d’Espagne Amalaric qui la maltraita. Childebert et son armée s’en vinrent tuer ce beau-frère. Childebert ramena sa soeur mais « elle mourut pendant ce voyage. Son corps fut apporté à Paris et enterré auprès de celui de son père Clovis ».

Le récit du meurtre de deux de ses petits-enfants, Théodovald et Gonthaire (fils de Clodomer) par leurs oncles Clotaire et Chidebert a suscité bien des débats : Clotilde aurait donné son assentiment « j’aime mieux qu’ils soient égorgés », plutôt que d’accepter que leurs cheveux soient coupés, acte symbolique qui signifiait le renoncement à devenir roi. Le  troisième petit-fils, rescapé de cette tuerie, est Chlodovald qui, par la suite, « coupa de ses mains sa chevelure et reçut les ordres sacrés… »  ; il devint le futur Saint Cloud.

La mort de Clotilde à Tours en 547

« Cette année là, l’hiver fut extraordinairement rigoureux…En ce même temps, mourut aussi à Tours la reine Clotilde…Un clergé nombreux accompagna son convoi jusqu’à Paris, où elle fut enterrée dans l’église de Saint-Pierre, à côté du roi son mari, par les soins des rois Childebert et Clotaire ses fils. C’est elle qui avait fait construire cette église, où était aussi enterrée sainte Geneviève ».

Sainte Clotilde fondatrice

La statue de Blosseville soutient une petite église dans sa paume gauche (les doigts ont été brisés). Cette représentation est habituelle pour Sainte Clotilde, comme par exemple dans l’église saint Martin d’Iclon, la collégiale Notre Dame aux Andelys. Mme Chaignet-Sortais7Bernadette Chaignet-Sortais. L’église saint-Martin de Blosseville sur Mer. Blosseville Histoire Vivante, 2021. souligne qu’à Blosseville elle ne porte pas de couronne et que de manière surprenante, sa main droite tient une palme, symbole de martyre qu’elle n’a jamais subi. 

Pourquoi cette église qu’elle soutient et ce trône en forme d’édifice sur lequel elle est semi-assise ?

Trois interprétations prévalent 8Paul Guérin : Les petits Bollandistes : vies des saints. T. VI, 7 ème édition, 1876, Paris pp 414-428 / 654.:

(i) la représentation symbolique de la fondation de la nouvelle Eglise de France ;

(ii) la fondation de la basilique des saints apôtres Pierre et Paul à Paris, évoquée ci-dessus ;

(iii) l’ancienne fondation du monastère des Andelys (Eure) « Andeligum monasterium », évoquée sur deux lignes dans l’Histoire ecclésiastique du peuple anglais par Bède le Vénérable (moine anglais, 673-735), un des textes d’histoire du Moyen Age les plus lus : « les nobles d’Angleterre y envoyaient leurs filles éduquer »https://la.m.wikisource.org/wiki/Historia_Anglorum/Liber_III. Aux Andelys, chacun peut voir la fontaine Sainte Clotilde, rappelant la légende d’une fontaine que Clotilde fit jaillir et dont l’eau fut transformée en vin pour étancher la soif des bâtisseurs du monastère. Le 3 Juin, d’impressionnants pèlerinages s’y déroulèrent jusqu’à la fin du XIX ème siècle. Citons un témoin de 1691, Pierre Thomas du Fossé « la veille du jour de sa feste, c’est un concours effroyable de peuples de toutes les provinces qui ont la dévotion d’assister à une procession solennelle…et les malades ont ensuite un fort empressement pour se lancer dans cette eau comme dans une piscine salutaire… »9Pierre Thomas du Fossé (1634-1698). Mémoires de Pierre Thomas, sieur du Fossé, avec introduction et notes par F. Bouquet.Tome IV, Rouen. 1879, chapitre XXXI, p130 / 475.

Deux autres fondations

Parmi les autres fondations dues à la reine Clotilde, deux doivent être mentionnées. 

La basilique Saint Germain d’Auxerre. Nous le savons grâce à l’épitaphe d’un évêque contemporain de Clotilde, épitaphe lue trois siècles plus tard par Heiric d’Auxerre (841-876) 10Bibliothèque historique de l’Yonne sous la direction de l’abbé L-M Duru. Auxerre et Paris, 1863,Tome 2 p 133 / 669. Accessible via Gallica. 11Jean-Charles Picard. Espace urbain et sépultures épiscopales à Auxerre. Revue d’histoire de l’Eglise de France, 1976, 168, 205-22. Accessible via le portail Persée..

Chelles (Seine et Marne) était une villa royale où Clotilde avait établi un couvent et bâti un oratoire dédié à Saint Georges. Nous le savons par la biographie d’une autre Reine des Francs puis Sainte à son tour, Bathilde (630-681), épouse de Clovis II (632-657, fils de Dagobert 1er), qui agrandit l’oratoire et fit bâtir une nouvelle église12Robert Folz. Tradition hagiographique et culte de sainte Bathilde, reine des Francs. Comptes rendus des séances de l’académie des Inscriptions et Belles lettres. 1975, 119-3, pp 369-384. Accessible portail Persée..

Références

  • 1
    Grégoire de Tours. L’histoire des rois francs. Traduit du latin par J.J.E. Roy. Folio Histoire. 2022. 286 p.
  • 2
    Godefroy Kurth. Sainte Clotilde. Librairie Victor Lecoffre. Paris 1905,182p. Accessible via Gallica.
  • 3
    Ce récit de Gondebaud, comme bourreau des parents de Clotilde est réfuté par plusieurs auteurs dont Godefroy Kurth qui invoque les lettres d’Avit de Vienne.
  • 4
    Ulysse Chevalier. Regeste Dauphinois. Répertoire chronologique et analytique….des origines chrétiennes à l’année 1349. 1913, Tome 1, fascicules 1-3, page 29, n° 159. Accessible via Gallica.
  • 5
    Luce Petri, Roland Delmaire, Janine Desmulliez, Pierre-Louis Gatier. Les lettres d’Avit de Vienne. La correspondance d’un évêque « politique ». MOM Editions, 2009, 40, 311-331. Accessible via portail Persée.
  • 6
    Christian Amalvi. Le baptême de Clovis : heurs et malheurs d’un mythe fondateur de la France contemporaine, 1814-1914. Bibliothèque de l’école des Chartes, 1989, 147, 583-610.
  • 7
    Bernadette Chaignet-Sortais. L’église saint-Martin de Blosseville sur Mer. Blosseville Histoire Vivante, 2021.
  • 8
    Paul Guérin : Les petits Bollandistes : vies des saints. T. VI, 7 ème édition, 1876, Paris pp 414-428 / 654.
  • 9
    Pierre Thomas du Fossé (1634-1698). Mémoires de Pierre Thomas, sieur du Fossé, avec introduction et notes par F. Bouquet.Tome IV, Rouen. 1879, chapitre XXXI, p130 / 475.
  • 10
    Bibliothèque historique de l’Yonne sous la direction de l’abbé L-M Duru. Auxerre et Paris, 1863,Tome 2 p 133 / 669. Accessible via Gallica.
  • 11
    Jean-Charles Picard. Espace urbain et sépultures épiscopales à Auxerre. Revue d’histoire de l’Eglise de France, 1976, 168, 205-22. Accessible via le portail Persée.
  • 12
    Robert Folz. Tradition hagiographique et culte de sainte Bathilde, reine des Francs. Comptes rendus des séances de l’académie des Inscriptions et Belles lettres. 1975, 119-3, pp 369-384. Accessible portail Persée.

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