Saint Eloi

La mitre et la crosse signent que cette statue est celle d’un évêque mais son identité est hypothétique. En suivant Mme Chaignet-Sortais1Chaignet-Sortais Bernadette. L’église saint-Martin de Blosseville sur Mer. Blosseville Histoire Vivante, 2021., si nous considérons que les deux évêques patrons de l’église (St Martin et St Lézin), ont déjà chacun deux statues, alors cet évêque pourrait être Saint Eloi, membre des protecteurs de la confrérie des Cinq Plaies.

La biographie2Saint Ouen : Vie de saint Éloi, évêque de Noyon et de Tournai. traduite et annotée par M. l’abbé Parenty. Deuxième édition, Librairie J Lefort, Lille, 304p. 1870.  de Saint Eloi (588- 659) qui mêle récit et légendes hagiographiques est due à un contemporain et ami : Dadon ou Ouen, qui deviendra Saint Ouen (603-684), évêque de Rouen de 641 jusqu’à sa mort, lequel fonda notamment une basilique sur les lieux de l’actuelle église abbatiale Saint Ouen. 

La statue est de petite taille mais le regard de l’évêque est ostensiblement baissé vers nous : Eloi était de « haute taille, d’un visage coloré ; sa belle chevelure frisait naturellement. Les doigts étaient longs ; les mains du reste bien faites. Sa figure exprimait une douceur angélique… ».

Eloi naquit dans un village au nord de Limoges, sa réputation d’orfèvre l’amena à la cour de Clothaire II. Ses activités furent nombreuses : il occupa le poste de maître de la monnaie de Paris (trésorier) sous Clothaire II, Dagobert puis Clovis II. Il fut ambassadeur en Bretagne (635), conseiller du roi puis vers 641 fut ordonné évêque de Noyon  (Oise actuelle) et Tournai (Belgique). Il évangélisa le Nord, de Noyon à Gand, fonda des abbayes.

Parmi les nombreuses expressions de son dévouement aux autres, il faut mentionner qu’il dépensait son argent pour racheter des esclaves afin de leur rendre la liberté : «  il avait un grand zèle pour racheter les captifsquelquefois c’était une troupe entière qu’on amenait sur des vaisseaux et qui étaient de diverses nations ; car il s’y trouvait des Romains, des Gaulois, des Bretons et des Maures, mais particulièrement des Saxons qu’à cette époque on pourchassait de leur pays ». 

Il appliqua ses dons d’orfèvre à exécuter « plusieurs châsses de saints avec de l’or, de l’argent et des pierreries….surtout celle de saint Martin en la ville de Tours…le roi Dagobert pourvut à cette dépense ». Qu’il soit le patron des orfèvres repose sur cette vérité historique.

En revanche, deux autres talents semblent plus du registre légendaire.

Saint Eloi guérisseur

Il n’en est  pas question dans sa biographie ; au contraire, Saint Eloi condamnait fermement tout recours aux pratiques superstitieuses « qu’on se garde bien d’attacher des billets au cou d’un homme ou d’un animal quelconque..que personne ne se permette de pratiquer des lustrations (feu, soufre, parfum), d’enchanter les herbes… ». Force est de constater à quel point le recours à un Saint Eloi guérisseur fut populaire au Moyen Age. Quelques phrases du chirurgien de Philippe Le Bel, Henri de Mondeville3Chirurgie de maître Henri de Mondeville (1260-1320), chirurgien de Philippe le Bel composée de 1306 à 1320, traduction par E. Nicaise, avec la collaboration du Dr Saint-Lager et de F. Chavannes. 1894, pp 464-466 (deuxième traité, des plaies et des ulcères). résument les croyances au début du XIV ème siècle «  pour le vulgaire et les chirurgiens de la campagne, tout ulcère, plaie, apostème et fistule dont la cure se prolonge est le mal de St Eloi…Ce saint est tellement en faveur … que le peuple pousse à son pèlerinage…non seulement les hommes mais même les moutons, les boeufs et toute espèce de quadrupèdes….le peuple ne permet pas en effet que le chirurgien poursuive le traitement…de peur que Saint Eloi ne s’en irrite… ». Cet art dans le soin aux animaux est possiblement lié à l’autre légende fort vivace.

Saint Eloi habile maréchal ferrant, protecteur des chevaux

Autant sa biographie documente son habileté d’orfèvre, rien, en revanche, n’évoque une activité de maréchal ferrant dont la pratique ne semble d’ailleurs avoir été introduite en Europe qu’au IX ème siècle. La légende4Moulé Léon : Histoire de la médecine vétérinaire. Deuxième période : histoire de la médecine vétérinaire au moyen âge (450-1500). Deuxième partie, la médecine vétérinaire en Europe. Paris 1900, pp 19-20/177, et Saint Eloi, guérisseur et la légende du pied coupé in Bulletin de la Société Française d’Histoire de la Médecine, IX, 1910, pp 103-147. dite « du cheval rétif » ou du « pied coupé » a été illustrée en peinture ou sculpture ou vitrail :  aux variantes près du récit, « en présence d’un cheval rétif qu’il ne pouvait ferrer St Eloi trouva plus simple de lui couper le pied pour le ferrer à son aise, n’ayant plus qu’à le remettre en place ». Une telle habileté expliquerait que St Eloi soit devenu dans beaucoup de pays le protecteur privilégié des chevaux loin devant Martin, Georges ou Etienne5Notte Ludovic. La dévotion à saint Eloi dans les écuries princières (XIII ème – XVI ème siècles). Revue belge de philologie et d’histoire. Tome 81, fascicule 4, 2003 p 1051-1074. et qu’il soit le patron des maréchaux ferrants lesquels organisent des fêtes le premier décembre, date anniversaire de sa mort à Noyon en 659.

Cette activité légendaire de maréchal ferrant expliquerait qu’il soit souvent représenté un marteau à la main, tel par exemple dans un vitrail de la chapelle Saint Eloi de la cathédrale de Rouen (ci-dessous) ou dans la baie 19 (vie de Saint Eloi) dans l’abbatiale Saint Ouen. Faisons l’hypothèse que c’est le manche d’un marteau que notre statue de Blosseville serrait dans sa main droite…

Saint Eloi tenant sa crosse et son marteau : chapelle Saint Eloi, Cathédrale, Rouen ; vitrail de Guillaume Barbe entre 1465 et 1470.
St Eloi en maréchal ferrant : baie 19, la vie de St Eloi, dans l’abbatiale Saint Ouen (vers 1325-1339).

La chanson du bon roi Dagobert

« Le bon roi Dagobert a mis sa culotte à l’envers ; Le grand saint Eloi lui dit : Ô mon roi !…» Il s’agit du début du premier de 24 couplets tous bâtis sur le même modèle d’un dialogue comique entre Dagobert et son conseiller Eloi. Cette chanson parodique6David Martine,  Delrieu Anne-Marie : Aux sources des chansons populaires. Belin, coll Le Français Retrouvé, 2009, 320p.  n’est en rien de l’époque mérovingienne mais fut utilisée la première fois pour se moquer, sans le nommer, du roi Louis XVI. Elle servit ensuite en adaptant les paroles à se moquer de Napoléon, Louis XVIII puis Napoléon III.

Références

  • 1
    Chaignet-Sortais Bernadette. L’église saint-Martin de Blosseville sur Mer. Blosseville Histoire Vivante, 2021.
  • 2
    Saint Ouen : Vie de saint Éloi, évêque de Noyon et de Tournai. traduite et annotée par M. l’abbé Parenty. Deuxième édition, Librairie J Lefort, Lille, 304p. 1870. 
  • 3
    Chirurgie de maître Henri de Mondeville (1260-1320), chirurgien de Philippe le Bel composée de 1306 à 1320, traduction par E. Nicaise, avec la collaboration du Dr Saint-Lager et de F. Chavannes. 1894, pp 464-466 (deuxième traité, des plaies et des ulcères).
  • 4
    Moulé Léon : Histoire de la médecine vétérinaire. Deuxième période : histoire de la médecine vétérinaire au moyen âge (450-1500). Deuxième partie, la médecine vétérinaire en Europe. Paris 1900, pp 19-20/177, et Saint Eloi, guérisseur et la légende du pied coupé in Bulletin de la Société Française d’Histoire de la Médecine, IX, 1910, pp 103-147.
  • 5
    Notte Ludovic. La dévotion à saint Eloi dans les écuries princières (XIII ème – XVI ème siècles). Revue belge de philologie et d’histoire. Tome 81, fascicule 4, 2003 p 1051-1074.
  • 6
    David Martine,  Delrieu Anne-Marie : Aux sources des chansons populaires. Belin, coll Le Français Retrouvé, 2009, 320p. 

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