Les soldats blossevillais morts à la guerre de 14-18

Chaque 11 novembre, comme dans toutes les communes de France, les Blossevillais célèbrent la fin de la première guerre mondiale. Ils rendent hommage aux soldats tués durant le conflit dont les noms sont inscrits sur le monument aux morts.

Trente noms et prénoms figurent sur les côtés du monument, avec l’indication de l’année de décès. 

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Les 30 mêmes noms et dates figurent sur une plaque dans l’église.

Qui sont ces enfants de Blosseville morts pour la France en 14-18 ? 1Cette recherche a été effectuée à partir des documents publics disponibles et dans quelques rares cas, à partir de documents conservés par la mairie ou des familles. Nous n’avons pas encore recherché ni donc contacté les éventuels descendants. Des compléments ou rectifications d’informations données sont donc possibles. Nous prions le lecteur de bien vouloir excuser toute erreur et sommes preneurs de toute information complémentaire, notamment de photos de soldat.

Les 30 noms sur le monument sont ceux de soldats qui sont soit nés à Blosseville, soit nés ailleurs mais habitaient à Blosseville au moment de leur départ à la guerre.  Sur les 30, 21 sont nés à Blosseville, 7 sont nés dans des communes environnantes, 2 en région parisienne. Certains des 21 natifs de Blosseville n’habitaient plus la commune au moment de leur départ au front; en ce cas leur nom peut également être gravé sur le monument de la commune de résidence à la date de mobilisation. 2Cette possibilité de figurer à plusieurs endroits existe donc pour les monuments aux morts; ce n’est pas le cas de l’état-civil qui ne comporte qu’un seul enregistrement d’un décès.

On retrouve ainsi des « enfants de Blosseville »  sur les monuments de Veules-les-Roses, de Sotteville-sur-Mer, d’Ouville-la-Rivière, d’Angiens, de Gueutteville-les-Grès, de Saint-Valéry-en-Caux , et plus loin St Germain des Essourts ou même Conflans Ste Honorine dans les Yvelines.

Premier août 1914 : la mobilisation générale

30 noms sont sur le monument aux morts, mais combien de Blossevillais partirent à la guerre au jour de la mobilisation générale fixée par décret au dimanche 2 août 1914 ? Pour Blosseville, comptant alors environ 450 habitants (dont près de 150 hommes de 20 ans et plus), on peut estimer à environ 80 hommes – de 20 à 48 ans – ceux qui furent mobilisés en 1914 : dans l’armée d’active – hommes de 20 à 23 ans -, l’armée de réserve – de 24 à 33 ans – ou la territoriale 3Les régiments de l’armée territoriale regroupaient les hommes les plus âgés, en principe affectés à des missions de défense et de garde de forts, ponts et autres sites sensibles. Ce fut bien le cas au début de la guerre mais rapidement certaines troupes territoriales furent engagées dans des batailles. – de 34 à 48 ans -. 4Pour la France entière, près de 4 millions d’hommes furent mobilisés en août 1914. L’armée d’active (plus de 800 000) fut complétée par : a) l’armée de réserve – 2.220.000 âgés de 24 à 33 ans b) la territoriale – 700.000 comprenant – l’armée territoriale (hommes âgés de 34 à 39 ans) – la réserve de l’armée territoriale (hommes âgés de 40 à 45 ans). Rapidement la réserve de l’armée territoriale a incorporé les hommes âgés de 46 à 49 ans. Sources : Wikipedia et Ministère des Armées : https://www.reserve-operationnelle.ema.defense.gouv.fr/index.php/armee-de-l-air-et-de-l-espace/la-reserve/historique/485-historique-de-la-reserve

Cet article est consacré aux seuls blossevillais morts à la guerre mais à travers eux, c’est l’histoire de tous les combattants du village qui est évoquée ; certains revinrent blessés, tous ont été traumatisés, leurs familles furent bouleversées, le village en a probablement été changé. Nous évoquerons les soldats dans l’ordre chronologique de leurs décès, qui est à peu près de celui de la liste du monument aux morts, en suivant ainsi le déroulement de la guerre sur le front ouest.

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Août 1914 : la percée allemande et la guerre des frontières

Le commandement français a massé des troupes aux frontières mais en août 1914, l’Allemagne les contourne en envahissant la Belgique et le Luxembourg. Les français se battent aux frontières (Ardennes, Lorraine) mais sont contraints de se replier pour ne pas risquer l’encerclement. Début septembre les troupes allemandes sont proches de Paris.

Percée allemande et guerre des frontières
En jaune, lieux de décès des soldats blossevillais.
Flèches et courbes = Mouvements et positions des troupes (rouge : allemandes ; bleu foncé : françaises ; bleu clair : britanniques) 5Cette carte provient du site Historial de la Grande Guerre https://www.historial.fr/ressources/collections-et-documentations/ressources/cartographie-des-lignes-de-front/

Deux blossevillais sont disparus dans cette bataille des frontières fin août.

Maurice Bardot était ouvrier chez le charpentier Giffard à Blosseville. Il est le seul à avoir une plaque individuelle dans l’église. Ironie de l’histoire, il est mort à Morhange dans le Grand Est d’où était originaire son père, venu des Vosges comme gendarme à Saint-Valéry puis tenancier d’un café à Blosseville. 

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Georges Cléret était ouvrier agricole ,employé dans la ferme d’Adolphe Fisset, dans l’actuelle rue de la Forge. Les familles sont restées longtemps sans nouvelles. Ainsi la mère de Georges Cléret écrit le 18 novembre au colonel du 150e régiment : « Monsieur le Colonel, mon fils de la 2e compagnie à St Mihiel ne m’a pas donné de ses nouvelles depuis le 18 août, ce qui fait trois mois…je suis dans une grande inquiétude… ». Cette inquiétude sera celle de toutes les familles de disparus au combat.

Nous ne savons pas où sont inhumés ces deux blossevillais disparus puis reconnus tués à l’ennemi.6« Tué à l’ennemi » est l’expression employée par l’administration militaire pour qualifier la mort d’un soldat au combat. Elle implique que des témoins aient rapporté le décès même si dans de nombreux cas le corps n’a pas été retrouvé (c’est un tribunal après-guerre qui acte alors le décès au jour de la disparition).  Peut-être dans la nécropole de Fillières, juste à côté de Joppécourt.

Du 5 au 12 septembre 1914 : la bataille de la Marne

Début septembre, Paris est sous la menace d’une avancée allemande.Le 5 septembre, les alliés français et britanniques lancent une contre-offensive sur la Marne sous le commandement du général Joffre. Des renforts français sont acheminés. L’armée allemande est forcée de se replier, et son plan d’encerclement rapide de la France échoue. Se déroulera ensuite une course à la mer de 3 mois entre les deux armées jusqu’à la mer du Nord.

Bataille de la Marne
En jaune, lieux de décès des soldats blossevillais.
Flèches et courbes = Mouvements et positions des troupes (rouge : allemandes ; bleu foncé : françaises ; bleu clair : britanniques) voir référence 5 pour la source

Deux blossevillais ont été tués au combat dans la Marne début septembre.

A Verdon est mort Joseph Hauduc, à l’âge de 29 ans. Il était berger dans la ferme d’Émile Blosseville ; il avait deux garçons Maurice et André. Maurice, après avoir travaillé comme entrepreneur de battage agricole, reprendra le café du Calvaire après la 2e guerre mondiale. On ne sait pas où Joseph Hauduc est inhumé.

Jules Grancourtmort à Esternay, avait 24 ans. Il était né à Blosseville mais avait déménagé à Gueutteville-les-Grès et travaillait comme domestique en région parisienne. Au moment de la guerre il était employé à Conflans-Sainte-Honorine.

Il est inhumé dans l’ossuaire de la nécropole de Courgivaux dans la Marne, avec près de 200 autres soldats. Son nom est inscrit sur les monuments de ces 4 lieux.

Quatre autres blossevillais sont morts des suites de blessures au dernier trimestre 1914 dans la Marne.

Gaston Coruble est mort de ses blessures en octobre 1914 à l’ambulance 7Service d’hôpital militaire temporaire qui suivait en temps de guerre les déplacements du corps d’armée et assurait les premiers soins aux blessésinstallée au château de Gueux à l’ouest de Reims. Il était cultivateur à Blosseville (dans l’actuelle rue des Bertagnes) et père d’une fillette de 3 ans. N’étant pas disparu sur le lieu même du combat, il fut le premier dont le décès fut officiellement annoncé à Blosseville, à sa famille, en décembre 1914. Il a été inhumé au cimetière de Gueux durant 9 ans puis transféré à Blosseville en 1923. Nous le savons par le discours prononcé à cette occasion par le curé de Blosseville, Zéphirin Elie Marie Capron.

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Alphonse Ridel était charretier à Blosseville. C’est peut-être sa connaissance des chevaux qui en avait fait un cavalier durant son service en 1905, dans les chasseurs à cheval. Par la suite il avait été affecté à une unité de transport, le Train des équipages. Il est décédé d’une fièvre typhoïde début décembre à Dormans.  Cette maladie avait fait des ravages au début de la guerre avant une vaccination systématique. Il est inhumé dans la nécropole de Dormans.

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Joseph Ridel, frère d’Alphonse, est mort 15 jours plus tard à l’hôpital de Sens, non de maladie mais des suites de blessures. Deux fils morts à 15 jours d’intervalle, quelle épreuve pour leur père Pierre Joseph, veuf, qui mourra en mars 1915 !

Émile Grenon, ouvrier agricole vivant à Sotteville-sur-Mer, est décédé à Chenay suite à ses blessures infligées par des éclats d’obus.

Début 1915 : Stabilisation du front 

À partir de fin 1914, après la bataille de la Marne puis la course à la mer, faute d’avoir pu mener à bien leurs plans d’attaque, les deux camps s’enterrent dans des tranchées. C’est le début de la guerre de position.

Début 1915 un front stabilisé de 700 km s’étend donc du nord de la France (Nieuport en Belgique) à la frontière suisse.  

Front stabilisé

En jaune, lieux de décès des soldats blossevillais. 

Lignes de front en bleu et rouge. Voir référence 5 pour la source

Loin du front un blossevillais est mort dans l’Eure en mai 1915.

Marcel Ouas, très jeune soldat d’active de 19 ans, meurt à l’hôpital d’Etrepagny dans l’Eure, suite à une maladie. Il travaillait à la ferme de son oncle Jean.

1915 : Les batailles de l’Artois

Au printemps 1915, les alliés britanniques et français lancent des offensives dans le Pas-de-Calais, au nord d’Arras, pour tenter de briser le front. Celles-ci se concentrent autour du village de Neuville-Saint-Vaast où les allemands avaient construit un « dédale de blockhaus, d’abris, de tranchées et de boyaux » 8Voir communiqué officiel publié par le journal Le Temps du 24 juin 1915 accessible par Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k242214c surnommé le Labyrinthe. La prise du Labyrinthe fut un enfer qui dura 3 semaines. A l’automne, est décidée une nouvelle poussée de l’armée française que le commandement sait difficile 9Le 19 septembre, le général Foch dit à des troupes : « Il va falloir, s’écrie-t-il, agir par submersion, ne pas s’arrêter, inonder les tranchées allemandes d’une mer de baïonnettes, ne s’attarder devant aucune résistance, pousser à fond droit devant soi. » Cité par le site Forum PAGES 14-18 https://forum.pages14-18.com/viewtopic.php?t=54271 et espère décisive. Ce ne sera pas le cas. Au final ces offensives de l’Artois se solderont par un très fort coût en vies humaines et peu d’avantages territoriaux.

Batailles de l’Artois

En jaune, lieux de décès des soldats blossevillais. 

Lignes de front en bleu et rouge. Voir référence 5 pour la source

Quatre blossevillais ont été tués dans les batailles de l’Artois, un au printemps, trois à l’automne. 

Jean François Victor Dumontier avait 33 ans. Né à Blosseville, il avait épousé une veulaise et était père d’une fille Marie. Le couple exploitait une ferme route des Cressonnières à Veules-les-Roses. Il est mort le 5 juin 1915 dans les combats acharnés pour la prise du Labyrinthe. Il est prénommé Victor sur le monument blossevillais, Jean sur celui de Veules et Jean François sur les documents de l’armée. 

Situation des galeries du Labyrinthe (pointillés)
Carte postale du Labyrinthe avec mention manuscrite d’un soldat français anonyme

…………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..Les combats d’automne à l’est de Neuville-Saint-Vaast ont été intenses et meurtriers. En 5 jours la seule armée française perdit près de 1000 officiers et près de 36000 soldats, parmi lesquels 3 blossevillais.

Le 25 septembre, Charles Bourgeaux32 ans, fut tué. Il était cultivateur à Blosseville et laissa 3 jeunes orphelines.

Le même jour périt Gaston Hamel, 32 ans également, ouvrier agricole célibataire résidant à Saint-Valéry-en-Caux. Il périt dans l’assaut du Bois de la Folie, position-clé fermement occupée par les allemands.

Deux jours plus tard, au même endroit tomba Eugène Marion, 28 ans, qui avait été blessé exactement un an auparavant lors des combats de la Marne. Il était garçon boucher à Ouville-la-Rivière.

Malgré la violence des combats, les décès des soldats de cette offensive ont pu être constatés et les familles dûment informées. En témoigne le discours du curé Capron à l’occasion d’un hommage rendu à Charles Bourgeaux.10« Vous vous rappellerez que les Coruble, les Ridel, les Ouas, les Marion, les Grenon, les Dumontier, les Bourgeaux sont morts pour vous et à votre place. Vous raconterez plus tard qu’ils ont arrêté les flots envahissants de la horde sauvage qui vous préparait le sort de la noble et magnanime Belgique, de la valeureuse Serbie, de la malheureuse Pologne. Comme les grains de sable de nos rivages arrêtent la colère des flots, nos petits soldats ont dit à l’affreux Teuton « tu n’iras pas plus loin ! » Et nous avons été sauvés » Texte du curé Capron dans les archives de la Mairie de Blosseville-sur-Mer.

La liste des noms cités par le curé omet des noms car tous les décès à cette date (fin 1915) n’ont pas été confirmés (Bardot, Cléret, Hauduc). Il se peut également que certaines familles n’aient plus habité Blosseville.

Février – décembre 1916 : la bataille de Verdun

Les offensives françaises en Artois, pas plus que les initiatives britanniques plus au nord, n’ont donné de résultats significatifs. Tout au plus elles ont pu faire diversion et permettre de préparer une offensive en Champagne à la fin de l’année. Mais cette dernière ne réussira pas non plus à percer le front.

L’année 1915 montre clairement que la guerre ne sera pas brève et facile comme certains l’avaient initialement envisagé. Elle est marquée par une intensification de la violence et des innovations technologiques terrifiantes comme les gaz chimiques.

Arrive le début 1916. L’armée allemande lance une offensive pour percer le front à Verdun et épuiser les troupes françaises. De février 1916 à juillet 1916 les allemands réussissent à avancer mais les troupes françaises tiennent. Puis à partir de juillet l’armée française mène une contre-offensive qui permet de regagner un peu du terrain perdu, notamment en reprenant le fort de Douaumont.

Bataille de Verdun
En jaune, lieux de décès des soldats blossevillais.
Flèches et courbes = Mouvements et positions des troupes (rouge : allemandes ; bleu foncé : françaises ; bleu clair : britanniques) voir référence 5 pour la source

Six soldats blossevillais ont péri durant cette période, à Verdun et dans les alentours. 

En jaune, lieux de décès des soldats blossevillais tués dans la région de Verdun en 1916

Le maréchal des logis Maurice Ciroux est mort en février 1916 dans les combats à Vaudesincourt à l’ouest de Verdun. Originaire de la région parisienne, il avait épousé à Paris en 1909 Georgette Romain, dont le père devint charron à Blosseville. Le couple a un fils en 1910 et s’installe à Blosseville pour reprendre à la toute fin 1913 l’exploitation d’un café, dans l’actuelle rue du Calvaire. Il est inhumé dans la nécropole d’Aubérive (Marne).

La butte de Vauquois, proche de Verdun, est un endroit stratégique où se sont déjà déroulés de nombreux combats. Ils s’intensifient en mars 1916 avec la « guerre des mines », durant laquelle chacune des deux armées détruit les positions de l’autre à coups d’explosifs. C’est là que Georges Capelle trouve la mort le 4 mars. Il n’avait que 20 ans et vivait à Sotteville-lès-Rouen où il était tourneur. Il a été inhumé temporairement au cimetière de la Barricade près de Vauquois.

Douaumont est un lieu emblématique de la bataille de Verdun, où de violents combats se sont déroulés pour la conquête du fort. Cyrille Grenon y est tué début avril 1916. Il était cressonnier à St Germain des Essourts, près de Buchy, marié et père de trois enfants. 

Edmond Bailleul est mort à Verdun des suites de ses blessures fin avril 1916. Agé de 21 ans, il était ouvrier agricole dans la ferme d’Adolphe Fisset à Blosseville. Dans son hommage, le curé mentionne son caractère bon et paisible. Il souligne le malheur de sa mère qui, juste avant-guerre, a perdu un fils à l’armée et son mari, vient de perdre Edmond et a encore deux autres fils en danger, un sur le front, l’autre prisonnier en Allemagne. Edmond Bailleul repose dans le cimetière de Blosseville.

En juillet 1916 Maurice Déhays s’est noyé dans la Marne à Vésigneul, près de Châlon-en Champagne. Agé de 23 ans, il était ouvrier dans la ferme de Désiré Blondel, route de Veules. Il est inhumé dans la nécropole voisine de son lieu de décès à Suippes.

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Mort à 44 ans, Joseph Blin est le plus âgé de la liste des soldats figurant sur le monument aux morts. Ouvrier agricole puis ouvrier charron dans le civil, il avait été mobilisé dans la Réserve de l’Armée Territoriale ; celle-ci était destinée à occuper des postes en principe moins exposés, mais dans les faits elle s’est souvent trouvée proche des combats, voire combattante. Joseph Blin est mort dans l’effroyable explosion du tunnel de Tavannes à quelques kilomètres à l’est de Verdun. Comment, réserviste, s’était-il retrouvé si près du front ? Etait-il cuisinier comme il l’avait été à plusieurs reprises dans son passé militaire ? Il est enterré dans une tombe collective de Douaumont avec 18 de ses compagnons d’infortune victimes de l’explosion de Tavannes.

Ce tunnel ferroviaire désaffecté servait d’abri pour l’armée française, en fait très insalubre car trop peuplé. De plus le tunnel abritait un dépôt de munitions et du carburant. Le 4 septembre 1916, c’est le drame, une explosion propage flammes et fumées à travers le tunnel. Ceux qui essaient de sortir sont pris sous les tirs allemands. Près de 600 soldats périrent asphyxiés et / ou carbonisés.11Voir site Internet http://www.chtimiste.com/batailles1418/combats/tavannes.htm

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Juillet – novembre 1916 : la bataille de la Somme

La bataille de Verdun aura été longue et meurtrière. Les allemands n’ont pas réussi leur entreprise de percée du front mais les ressources humaines et matérielles des deux camps ont été très affaiblies. La résistance française a néanmoins permis que se développe une offensive alliée sur un autre point du front, la Somme. 

A l’est d’Amiens, les britanniques, aidés des français lancent l’offensive en juillet 1916. Une fois de plus, il s’agit de percer le front par une attaque massive et rapide. Ce sera un échec : en novembre, les gains territoriaux seront limités et les morts très nombreux.

Bataille de la Somme
En jaune, lieux de décès des soldats blossevillais.
Flèches et courbes = Mouvements et positions des troupes (rouge : allemandes ; bleu foncé : françaises ; bleu clair : britanniques) voir référence 5 pour la source

Un soldat blossevillais est mort en septembre 1916 à Rancourt dans la Somme. 

La flèche montre Marcel Fisset, photographié avec un autre soldat 2 mois avant sa mort 

Il s’agit de Marcel Fisset, fils d’Adolphe Fisset, exploitant agricole évoqué plus haut et maire de Blosseville. Ce dernier décède en 1913, la ferme est vendue et sa veuve Louise déménage à Veules. Marcel Fisset qui se destine à la prêtrise, a tout juste 20 ans lorsqu’il est incorporé le 1er septembre 1914. Nommé caporal il rejoint le front durant la bataille de Champagne de la fin 1915. Puis ce sera Verdun et enfin la Somme où il disparaît, tué à l’ennemi, le 25 septembre 1916. 

Les nombreuses lettres qu’il a écrites à sa famille constituent un précieux témoignage.12Elles nous ont été transmises par M. François Blondel, neveu de Marcel Fisset. Nous le remercions très vivement pour sa confiance et son aide.

Les toutes dernières résonnent de manière poignante. Ainsi le 22 septembre, il écrit à sa mère : « … Depuis le soir de ce jour, nous sommes en tranchées : nous sommes comme je te l’ai dit dans le même département que Monsieur Joseph [ndlr : la Somme]. Je ne suis pas donc trop loin de toi. Aussi, ça cogne dur, c’est un second V.[ndlr : Verdun] mais avec les rôles renversés. Néanmoins, je vais très bien, je ne cesse un moment de penser à toi et de prier pour vous tous…. Je profite d’un moment d’accalmie pour t’écrire. Ne te tracasse pas si tu n’as pas de mes nouvelles tous les jours. Ainsi je n’ai pu t’écrire depuis mardi. Je tâcherai cependant de t’envoyer un mot le plus souvent possible… »

Pour faire part du décès du soldat Fisset, l’administration militaire a adressé à sa mère un courrier. La factrice de Veules a bien reconnu le type d’enveloppe auquel elle était malheureusement habituée. N’osant pas la remettre en mains propres, elle l’a lancée par la porte à demi-ouverte de la pièce où se tenait la mère du soldat, la laissant seule avec la cruelle nouvelle.13Témoignage de M. François Blondel Terrible moment qu’ont dû vivre d’autres familles. Marcel Fisset est inhumé dans l’ossuaire de Rancourt.

Comme Victor Dumontier, Marcel Fisset figure sur le monument aux morts de Veules devant la mairie mais aussi sur la plaque apposée dans l’église, sous le tableau d’Hermine David (1935).

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Fin 1916  – début 1917 :  Un front enlisé

Après les offensives stériles de Verdun et de la Somme, l’année 1916 se termine dans un enlisement du front. Les conditions des soldats dans les tranchées sont épouvantables, avec une utilisation de l’artillerie plus forte. Au début 1917, aucune solution militaire n’est en vue sur le front ouest. 

Au tout début 1917, sans rapport avec la situation du front, un soldat blossevillais est mort à Brest. Il s’agit d’Auguste Grancourt, frère de Jules tué en 1914. Il résidait à Gueutteville-les-Grès et venait d’être incorporé quand il est mort d’une méningite. Auguste Grancourt est enterré au carré militaire du cimetière de Brest. C’est le prénom d’un troisième frère, Eugène, qui a été par erreur porté sur le monument blossevillais.

Avril – mai 1917 : le Chemin des Dames

En avril 1917, les généraux français notamment Nivelle imaginent une offensive de très grande ampleur au Chemin des Dames à l’est de Soissons (Aisne). Destinée une nouvelle fois à percer les lignes ennemies rapidement, elle s’enlise car les allemands sont bien préparés. Les tirs d’artillerie feront des dégâts considérables. Comme en Artois, comme à Verdun, des villages seront totalement rasés. 

Trois soldats blossevillais ont trouvé la mort au Chemin des Dames.

En jaune, lieux de décès des soldats blossevillais au Chemin des Dames

Déjà blessé à deux reprises en 1914 et 1916, Pierre Lanfray a été tué à l’ennemi à Clamecy. Il avait 22 ans et était journalier. Il est inhumé dans la nécropole de Vauxaillon (Aisne).

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Léon Romain était le fils du charron Eloi Romain récemment installé à Blosseville et le beau-frère de Maurice Ciroux tué à Verdun. Le jour exact de ses 26 ans, le 17 avril, Léon Romain a trouvé la mort dans la prise du ravin de Chivy où s’est illustré son régiment de tirailleurs marocains. Ancien infirmier militaire au Maroc, il avait reçu la croix de guerre pour le courage qu’il avait montré en relevant des blessés entre les deux lignes ennemies. 

Maurice Fisset (sans rapport de parenté avec Marcel évoqué plus haut) était un ouvrier agricole de 24 ans. Soldat cité pour son grand courage, il est mort le 10 mai 1917 à l’hôpital de Mont-Notre- Dame ; il y avait été évacué après avoir été grièvement blessé 15 km plus au nord dans les combats de l’Epine de Chevregny (Aisne). Il est inhumé au cimetière de Blosseville.

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Automne 1917 : des signes d’évolution et une offensive en Flandre

Après le chemin des Dames, le moral des troupes est au plus bas, des mutineries ont lieu. Le général Pétain remplace le général Nivelle pour apaiser les colères et restaurer la discipline. Sur le front immobile, c’est à nouveau l’attente. Mais des évènements extérieurs laissent entrevoir de futures évolutions. Le changement de régime en Russie va libérer les allemands du front est, les américains sont entrés en guerre en avril. A l’automne 1917, les alliés sous commandement britannique lancent une nouvelle offensive en Flandre. Les combats dans la boue provoquée par la pluie et les bombardements causeront d’énormes pertes sans gain de terrain significatif.

Un soldat blossevillais est tué en Flandre.

Dans ces combats, Augustin Vilain meurt à l’ambulance militaire de Linde, dans la commune belge d’Hoogstade. Charpentier natif de la Gaillarde, il avait 35 ans et avait épousé une blossevillaise. Il repose dans le cimetière de Blosseville..

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1918 : Reprise de la guerre de mouvement et défaite allemande

En mars 1918 le traité de Brest-Litovsk entre la Russie et l’Allemagne (et ses alliés) dégage totalement cette dernière du front de l’Est.

Au printemps 1918, c’est la reprise de la guerre de mouvement. Les allemands veulent agir avant l’arrivée des troupes américaines et lancent une série de puissantes attaques, d’abord dans la Somme, puis dans la Flandre et l’Aisne. Ils envahissent l’Oise, atteignent la Marne et arrivent à 80 km de Paris. Mais les armées alliées (y compris les américains) peuvent les stopper et mener une contre-offensive (dite des Cent-Jours) qui permet de regagner les territoires perdus et provoque un effondrement complet des lignes allemandes.

Contre-offensive alliée en 1918
En jaune, lieux de décès des soldats blossevillais.
Flèches et courbes = Mouvements et positions des troupes (rouge : allemandes ; bleu foncé : françaises ; bleu clair : britanniques; bleu pâle: américaines) voir référence 5 pour la source

Trois soldats blossevillais meurent dans cette phase de la guerre.

Né en 1889 à Blosseville, Maurice Lemasson s’était marié en 1913 et était boulanger à Rouen. Après avoir été engagé dans les batailles de Verdun et de la Somme, il a reçu la croix de guerre avec étoile de vermeil pour une action d’éclat au Chemin des Dames. 14Nous adressons tous nos remerciements à M. Philippe Lemasson pour les  renseignements donnés sur sa famille.Il est mort à Fismes (Marne) en mai 1918 dans les combats de l’armée française pour défendre sans succès la ville face à l’avancée allemande.  

Jules Ridel allait avoir 20 ans quand il est mort à Genvry dans l’Oise début septembre 1918. Il avait été incorporé en mai 1917 et avait combattu dans la Meuse et dans les Vosges. Il est inhumé à Blosseville.

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Arthur Lhomme est né en 1880 à Blosseville, qu’il avait quittée pour s’établir en région parisienne où il était journalier. Il est décédé à l’hôpital de Rosendael (Dunkerque). Il est enterré dans le carré militaire de cette commune.

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1918 : Une expédition en Russie

Cette phase finale de la guerre aura encore fait de nombreux morts et blessés.

Territoire détenu par le pouvoir bolchevique (rouge)

Après le traité de paix entre Russie et Allemagne, il reste dans le nord de la Russie des dépôts de matériels de guerre alliés importants convoités tant par le pouvoir bolchévique que par une partie de l’armée allemande. C’est pour les sécuriser qu’un corps expéditionnaire franco-britannique est mis sur pied et envoyé sur place. En plus de cet objectif strictement militaire, il existe également une volonté d’aider les Russes blancs dans leur combat contre le nouveau pouvoir révolutionnaire. 

Un soldat blossevillais a trouvé la mort en Russie.

Né à Blosseville et habitant Angiens, Narcisse Roquigny avait rejoint le 21e Bataillon Colonial de Marche en juin 1918, pour le début de l’expédition en Russie. Il trouvera la mort à Vologda (500 km au nord de Moscou).

1919 : Après l’armistice, le retour des prisonniers

C’est en mars 1919 que meurt à 29 ans Honoré Paul Gentil qui était ouvrier agricole à Gueutteville-les-Grès. Il sera le dernier soldat blossevillais dont le nom figure sur le monument aux morts. Prisonnier, il avait été rapatrié en janvier 1919 mais malade il est décédé dans un hôpital à Saint-Nicolas-de-Port près de Nancy. Il est inhumé dans une nécropole voisine, celle de Noviant-aux-Prés.

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De 1918 à aujourd’hui : se souvenir

Sur les 30 soldats dont les noms sont inscrits sur le monument aux morts de Blosseville, 5 reposent dans le cimetière du village. Nous connaissons les lieux de sépulture de 10 autres.

Inscrire sur une pierre, au cœur d’un village, le nom des hommes disparus dans un conflit aussi terrible, c’est se souvenir. Se souvenir de chacun d’eux, de leurs vies d’avant et pendant la guerre. C’est le témoignage de la reconnaissance des générations suivantes à leur égard.

Mais le souvenir des morts que l’on connaît dans un village peut trouver une résonance plus grande et un sens plus profond s’il se mêle aux souvenirs que d’autres hommes et femmes entretiennent pour leurs morts. Dans d’autres villages, d’autres villes, d’autres pays, des noms sont inscrits sur des pierres. Et pourquoi symboliquement, ne pas unir toutes ces pierres, tous ces noms, pour forger une mémoire commune ?

C’est ce qui a été fait à Ablain-Saint-Nazaire, commune dévastée durant la bataille d’Artois de 1915, avec la création en 2014 d’un « anneau de la mémoire », à côté de la nécropole de Notre-Dame-de-Lorette.

Cet anneau de 345 mètres de périmètre rassemble depuis 2014 les noms de près de 580 000 soldats tombés sur le territoire du Nord Pas-de-Calais entre 1914 et 1918.

Les noms inscrits représentent 40 nationalités différentes, les plus nombreux étant les britanniques, les allemands et les français.

Il comporte les noms des 5 soldats blossevillais tombés dans cette région.

Ainsi notre hommage aux soldats blossevillais morts au combat prend une dimension universelle.

Références

  • 1
    Cette recherche a été effectuée à partir des documents publics disponibles et dans quelques rares cas, à partir de documents conservés par la mairie ou des familles. Nous n’avons pas encore recherché ni donc contacté les éventuels descendants. Des compléments ou rectifications d’informations données sont donc possibles. Nous prions le lecteur de bien vouloir excuser toute erreur et sommes preneurs de toute information complémentaire, notamment de photos de soldat.
  • 2
    Cette possibilité de figurer à plusieurs endroits existe donc pour les monuments aux morts; ce n’est pas le cas de l’état-civil qui ne comporte qu’un seul enregistrement d’un décès.
  • 3
    Les régiments de l’armée territoriale regroupaient les hommes les plus âgés, en principe affectés à des missions de défense et de garde de forts, ponts et autres sites sensibles. Ce fut bien le cas au début de la guerre mais rapidement certaines troupes territoriales furent engagées dans des batailles.
  • 4
    Pour la France entière, près de 4 millions d’hommes furent mobilisés en août 1914. L’armée d’active (plus de 800 000) fut complétée par : a) l’armée de réserve – 2.220.000 âgés de 24 à 33 ans b) la territoriale – 700.000 comprenant – l’armée territoriale (hommes âgés de 34 à 39 ans) – la réserve de l’armée territoriale (hommes âgés de 40 à 45 ans). Rapidement la réserve de l’armée territoriale a incorporé les hommes âgés de 46 à 49 ans. Sources : Wikipedia et Ministère des Armées : https://www.reserve-operationnelle.ema.defense.gouv.fr/index.php/armee-de-l-air-et-de-l-espace/la-reserve/historique/485-historique-de-la-reserve
  • 5
    Cette carte provient du site Historial de la Grande Guerre https://www.historial.fr/ressources/collections-et-documentations/ressources/cartographie-des-lignes-de-front/
  • 6
    « Tué à l’ennemi » est l’expression employée par l’administration militaire pour qualifier la mort d’un soldat au combat. Elle implique que des témoins aient rapporté le décès même si dans de nombreux cas le corps n’a pas été retrouvé (c’est un tribunal après-guerre qui acte alors le décès au jour de la disparition).
  • 7
    Service d’hôpital militaire temporaire qui suivait en temps de guerre les déplacements du corps d’armée et assurait les premiers soins aux blessés
  • 8
    Voir communiqué officiel publié par le journal Le Temps du 24 juin 1915 accessible par Gallica https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k242214c
  • 9
    Le 19 septembre, le général Foch dit à des troupes : « Il va falloir, s’écrie-t-il, agir par submersion, ne pas s’arrêter, inonder les tranchées allemandes d’une mer de baïonnettes, ne s’attarder devant aucune résistance, pousser à fond droit devant soi. » Cité par le site Forum PAGES 14-18 https://forum.pages14-18.com/viewtopic.php?t=54271
  • 10
    « Vous vous rappellerez que les Coruble, les Ridel, les Ouas, les Marion, les Grenon, les Dumontier, les Bourgeaux sont morts pour vous et à votre place. Vous raconterez plus tard qu’ils ont arrêté les flots envahissants de la horde sauvage qui vous préparait le sort de la noble et magnanime Belgique, de la valeureuse Serbie, de la malheureuse Pologne. Comme les grains de sable de nos rivages arrêtent la colère des flots, nos petits soldats ont dit à l’affreux Teuton « tu n’iras pas plus loin ! » Et nous avons été sauvés » Texte du curé Capron dans les archives de la Mairie de Blosseville-sur-Mer.
  • 11
    Voir site Internet http://www.chtimiste.com/batailles1418/combats/tavannes.htm
  • 12
    Elles nous ont été transmises par M. François Blondel, neveu de Marcel Fisset. Nous le remercions très vivement pour sa confiance et son aide
  • 13
    Témoignage de M. François Blondel
  • 14
    Nous adressons tous nos remerciements à M. Philippe Lemasson pour les  renseignements donnés sur sa famille.

Cet article a 4 commentaires

  1. Leriche Daniel

    Bravo, pour cette reconstitution et ce travail de recherche qui permet de ne pas oublier les moments tragique de cette guerre.
    Bravo à tous.
    Étant né à Blosseville cela me touche énormément

    1. Laurent LIOT

      Bonsoir Monsieur Leriche,

      Au nom de notre association, je vous remercie beaucoup pour votre message et vos commentaires positifs.
      Il est très précieux pour nous de savoir que ces recherches intéressent ceux qui, comme vous, sont attachés à Blosseville.
      Cet article a été l’occasion de nous souvenir de ces moments douloureux pour les familles du village et de percevoir un peu qui étaient ces noms sur un monument.
      Très cordialement.
      Laurent Liot pour Blosseville Histoire Vivante

  2. Georges Nouvet

    Enquête passionnante et émouvante .Merci pour ce travail de mémoire .

    1. Laurent LIOT

      Bonsoir,

      Nous vous remercions pour votre message et votre commentaire.
      Effectivement on est ému à l’évocation de ces parcours individuels d’hommes pris dans de si terribles évènements, même 110 ans après.
      Merci pour votre soutien
      Très cordialement.

      Laurent Liot

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