Quatre soldats français morts à Blosseville en juin 1940

Douze soldats sont morts à Blosseville lors des combats de juin 1940 et ont été enterrés dans le cimetière du village. Les corps des huit britanniques y reposent encore aujourd’hui ; en 1948, les corps des quatre français ont regagné les cimetières de leurs communes d’origine. Une plaque apposée sur le monument aux morts, à l’initiative de Monsieur Hervé Savary1Auteur de nombreux articles parus dans le Courrier Cauchois, dont « Blosseville. Juin 40 : le sacrifice des jeunes soldats français et britanniques, 02/04/2023., lors d’une commémoration organisée par notre commune le 10 juin 2023, nous incite au souvenir. Mr Savary, depuis plusieurs années, s’est attaché à défendre et honorer la mémoire des soldats britanniques et français morts sur le territoire de la Côte d’Albâtre en juin 1940. En juin 2023, il a été le maître d’œuvre de l’organisation des commémorations par la Communauté de Communes de la Côte d’Albâtre.

soldats français morts à Blosseville
Plaque en mémoire des quatre soldats morts à Blosseville en Juin 1940. Plaque dévoilée le 10 juin 2023.

Lors de la cérémonie du 10 juin 2023 à Blosseville, notre association a tenu une exposition rassemblant les archives communales identifiées par l’une d’entre nous en 20132Catherine Tardif : Qui se souvient des soldats de Juin 1940 ? Echo du vent, novembre 2013, pp 5-6. et les témoignages recueillis par Mr Savary auprès des familles de deux des quatre soldats français morts à Blosseville. Depuis, nous avons pu retrouver le petit-neveu d’un troisième soldat et espérons pouvoir identifier des apparentés du quatrième.

Ce travail en cours, associant archives personnelles et documents (état civil, recensement, fiches matricules, archives militaires) a été restitué lors de notre réunion du 28 octobre 2023. Nous avons lu et montré les lettres échangées avec les familles quand longtemps après les évènements, elles apprirent les décès dans la cavée Gros Jean de trois d’entre eux, et dans la cour du manoir du quatrième. Pourtant, le maire, Mr Louis Blosseville, avait écrit au Préfet de Rouen dès le 24 juillet 1940 : « j’ai le regret de vous rendre compte que les soldats français ci-dessous dénommés tués au cours du combat des 11 au 12 juin ont été inhumés dans le cimetière de ma commune : Emile Emery… Antoine Riaudel…Marius Cheminal…Pierre Chanut ».

Emile Emery était né le 31 décembre 1901 à Amné (Sarthe) puis a vécu à La Bazoge au nord du Mans, dans la ferme tenue par ses parents au lieu-dit le Grand Aulnay. Il était le dernier d’une famille de quatre enfants. Appelé au service militaire en mai 1921, il fut libéré en 1923, probablement après le décès de son père, pour venir aider à l’exploitation familiale qu’il reprendra seul ensuite. Il a été mobilisé le 11 janvier 1940 et affecté au 96ème Régiment d’Infanterie Alpine à Montpellier, intégré à la 31ème Division d’Infanterie Alpine. Cette division fut affectée au front de Lorraine jusqu’en mai 1940 puis fit mouvement vers Gournay et Aumale et participa à la bataille d’Abbeville début juin. Ce fut ensuite le repli vers l’ouest devant la percée allemande, et les combats dans la poche de St Valéry en Caux. Emile Emery trouva la mort cavée Gros Jean à Blosseville.

Dès la mi-novembre 1940, la mère d’Emile Emery écrivit au maire de Blosseville pour vérifier que son fils était bien enterré dans la commune puis lui demander de transférer le corps dans un cercueil qu’elle fit faire par un menuisier blossevillais, dans l’attente de l’autorisation d’un rapatriement, qui ne viendra qu’après de nombreuses années.

Antoine Riaudel était né le 21 juillet 1914 à Chartres de Bretagne (Ille et Vilaine), petite ville à 20 km au sud de Rennes. Il était le dernier d’une fratrie de six et ses deux sœurs ainées avaient respectivement vingt-un et dix-huit ans à sa naissance. Il perdit ses deux parents à l’adolescence. Il apprit le métier de boucher à Rennes où deux de ses sœurs résidaient. Les courriers témoignent de l’attachement de sa nièce et son neveu pour leur jeune oncle. Antoine Riaudel effectua deux ans de service militaire au 8ème régiment d’infanterie de Cherbourg entre Octobre 1935 et 1937. Début 1939, il fut affecté au centre de mobilisation d’infanterie de Rennes puis fut mobilisé en février 1940 au 15ème Régiment d’Infanterie Alpine d’Albi (15ème RIA). Ce régiment occupa plusieurs positions entre Lorraine et Alsace Lorraine de février à mai 1940 puis fut envoyé en Picardie début juin. Il participa aux combats de la bataille d’Abbeville du 2 au 5 juin qui firent de nombreux morts parmi les officiers et soldats du 15ème RIA. Sous l’avancée allemande, le repli du 15 ème RIA vers l’Ouest allait finir à St Valéry en Caux… « le douze Juin…a été tué à l’ennemi à Blosseville sur Mer au lieu-dit la Cavée Gros Jean, Antoine Riaudel de la classe 1934, recrutement de Rennes..».

La famille n’en sut rien comme en témoignent ces annonces passées dans toutes les éditions de l’Ouest Éclair du 11 juin 1941 par l’époux de sa sœur Angèle (cf., ci-dessous).

Le 11 mai 1941, ignorant son décès onze mois auparavant, la famille d’Antoine RIAUDEL publie un avis de recherche
dans toutes les éditions de l’Ouest Eclair.

Ce n’est qu’en juillet 1941, que sa famille reçut l’information et adressa un premier courrier pour connaître les circonstances de son décès et les modalités de l’inhumation. En septembre 1941, la Kommandantur octroya un laissez-passer de 3 jours mais on ne sait pas si ses proches purent se rendre sur la tombe. Les années suivantes ils adressèrent des cartes et des mandats pour « veiller à l’entretien de sa tombe…mais vous pouvez également en disposer pour votre commune ou les combattants ».

Marius Cheminal était né le 17 mai 1913 à Ville-en-Sallaz en Haute-Savoie, à 30 km à l’est de Genève. Issu d’une famille de cultivateurs, il eut 3 sœurs et semble avoir été très marqué par sa foi catholique. Il fit un service militaire d’un an dans l’infanterie à partir d’octobre 1934.
Le jour de la déclaration de guerre, 3 septembre 1939, il fut mobilisé à Annecy au 67ème bataillon de Chasseurs Alpins (67ème BCA). Après trois mois dans les Alpes pour des travaux de fortification puis trois autres en Alsace, près de la ligne Maginot, le 67ème BCA fut cantonné à Belley dans l’Ain, dans l’attente d’une opération sur un sol étranger. Ce faillit être la Finlande, mais celle-ci ayant traité avec l’URSS, ce fut la Norvège où les alliés britannique et français avaient décidé de s’opposer à la récente occupation allemande. Avec le 67ème BCA, Marius Cheminal débarqua au port de Namsos le 19 avril 1940 après un voyage de 10 jours depuis Brest, sur le navire « El Mansour ». Face à la supériorité des forces allemandes, les alliés rembarquèrent dès le 2 mai, non sans difficulté. Le 67ème BCA stationna ensuite 3 semaines en Ecosse à Greenock, dans l’attente de son prochain engagement. Ce fut la Campagne de France avec débarquement au Havre, déplacement en train et camion jusqu’à 40 km de Paris avant de remonter résister à la poussée allemande, tout d’abord les 7 et 8 juin à Bézencourt dans la Somme puis le 10 à Biville-la-Baignarde en Seine-Maritime. C’est lors de cette bataille où « l’armée française armée de baïonnettes chargea les chars allemands » que Marius Cheminal fut très grièvement blessé. Il fut transporté à Blosseville, dans la cour du Manoir où son décès fut constaté. Son identité a été inscrite sur le dos d’un paquet de cigarettes anglaises (cf., ci-dessous) portant son nom, sa classe et son lieu d’incorporation, probablement déposé par le soldat anglais qui l’accompagnait.

Fond d’un paquet de cigarettes Player’s Weights. A l’intérieur (sur la gauche), trace de l’agrafe, « mort au combat » 11 juin 1940. Verso de ce morceau de carton (sur la droite) agrafé par un anglais qui a assisté au décès de Marius Cheminal.

Nous avons un témoignage précis et touchant de la guerre de Marius Cheminal grâce à des extraits de très nombreuses lettres qu’il adressa à sa famille depuis son incorporation jusqu’à son retour sur le sol français en 1940. Ces lettres traduisent le regard d’un paysan savoyard subitement emporté dans un périple alternant combats et vie de garnison ; il est le soldat qui mentionne à demi-mots les évènements militaires et il est le curieux qui découvre ces contrées loin de sa région natale. Il fait toujours part de son espoir. Encore plus émouvante est la lettre, datée d’août 1940, du sergent de son unité au curé de Ville-en- Sallaz relatant la bataille de Biville-la-Baignarde et la blessure mortelle qu’y reçut Marius Cheminal.

Il faudra du temps à la famille pour retrouver le véritable lieu où se trouvait le corps. Ce n’est en effet que le 29 avril 1942 que Léontine Cheminal, sœur de Marius, écrivit à Louis Blosseville pour vérifier les renseignements qu’elle avait reçus sur son inhumation à Blosseville.

Pierre Chanut était né le 10 janvier 1918 à St Cernin, un bourg du Cantal situé à 18km au nord d’Aurillac. Il était le second d’une fratrie de quatre qui perdirent leur père dès 1929. Très jeune, il dut travailler comme berger jusqu’en novembre 1938 pour partir à Chambéry effectuer son service militaire au 13ème Bataillon de Chasseurs Alpins (13ème BCA). Dix mois plus tard, il entrait en « campagne contre l’Allemagne » et son parcours fut comparable à celui de Marius Cheminal (Norvège, Ecosse…),leurs deux bataillons appartenant à la 5ème Demi-Brigade de Chasseurs Alpins (cf., ci-dessous).

Extrait de la fiche matricule de Pierre Chanut : chronologie des périodes depuis sa mobilisation jusqu’à son décès.
Embarquement le 12 avril 1940 du 13 ème B.C.A pour la Norvège sur le Ville d’Oran. ECPAD images.

Plaque contre le mur d’une maison à l’entrée de Veules après le carrefour entre la D.925 venant de Dieppe et la D. 142 venant de Rouen.

Mais Pierre Chanut, lui, atteignit BlosseviIle où il fut trouvé mort dans la cavée Gros Jean. En février 1941, le maire de Blosseville prit l’initiative de signaler au secrétariat général aux anciens combattants « les circonstances du décès du soldat Chanut… « Je n’ai pas d’autres renseignements sur l’identité de ce soldat qui ne possédait aucun papier lorsque nous l’avons trouvé. Chanut a été trouvé percé de balles à son poste de mitrailleurs, dans la position « à genoux ». Ce soldat aurait tiré longtemps après le retrait de son régiment qui a dû se replier sur Veules ou sur St Valéry en Caux. Nul doute que cet homme avait reçu l’ordre de servir jusqu’au bout pour permettre à ses camarades de prendre de l’avance sur l’ennemi. L’ordre a été loyalement exécuté et il est bon qu’on se le dise ». Sa mère avait adressé une lettre directement au maréchal Pétain en Octobre 1941 mais n’obtint pour toute réponse que de « s’armer de patience… ». Il fallut attendre le printemps 1942 quand le maire de St Cernin se chargea de lui annoncer que son fils était inhumé dans le cimetière de Blosseville.

Retour des corps dans leurs villages d’origine

Ce n’est qu’en 1948 que les corps de ces soldats ont été restitués à leurs familles et ont pu être inhumés dans leurs villages d’origine. Un document ronéoté de la mairie de Blosseville signale :
« Départ des corps des militaires français morts pour la France à Blosseville : Le 19 août le service de restitution des corps des militaires « morts pour la France » procèdera à l’enlèvement des quatre soldats français tués en 1940 à Blosseville. Les sociétés locales viendront saluer, à leur départ, dans la matinée, les cercueils renfermant les dépouilles mortelles de ces héros. »

Durant toutes ces années, les Blossevillais avaient pris soin des tombes de ces soldats. Ainsi, en septembre 1947, Mr Rives, cousin de la mère de Pierre Chanut fit le déplacement jusqu’à Blosseville ; il photographia les tombes (cf., ci-dessous) et rencontra Mr Goupil, l’instituteur qui se chargeait de leur entretien avec les enfants de l’école.

Tombes soldats français morts à Blosseville en juin 1940
Photographie des croix et tombes des soldats français et britanniques en septembre 1947.

A l’issue de sa visite, Mr Rives écrivit à sa cousine : « je t’assure qu’elles sont bien entretenues, elles ont chacune une croix avec un beau rosier naturel et des plantes vertes. Cela fait plaisir à voir, les gens du pays ne les oublient pas ».

Soixante seize ans plus tard, les Blossevillais n’oublient pas.

Auteurs : Catherine Tardif, Laurent Liot, Didier Hannequin

Remerciements aux familles des soldats Chanut, Cheminal, Riaudel pour le partage des informations et leur soutien, à Mr H. Savary pour son engagement et son aide, à Mr P. Vanier, maire et Mme M. Quibel, secrétaire de mairie pour avoir permis l’accès aux archives communales.

Références

  • 1
    Auteur de nombreux articles parus dans le Courrier Cauchois, dont « Blosseville. Juin 40 : le sacrifice des jeunes soldats français et britanniques, 02/04/2023.
  • 2
    Catherine Tardif : Qui se souvient des soldats de Juin 1940 ? Echo du vent, novembre 2013, pp 5-6.

Cet article a 3 commentaires

  1. DELACROIX.JACQUELINE

    Merci pour votre travail de recherche et de nous le faire partager, c’est toujours très intéressant et émouvant de connaître l’histoire de Blosseville et surtout celle de héros qui ont donné leur vie (si jeunes) pour notre pays. C’est bien de ne pas les oublier.
    Encore merci et bonne journée, à bientôt

  2. Georges Nouvet

    J’ai trouvé assez touchant d’ apprendre que monsieur Goupil , l’instituteur , demandait à ses élèves de participer à l’entretien des tombes des soldats tombés au combat .Une belle façon de saluer le sacrifice de ces hommes .

  3. ANTHORE

    C’est toujours émouvant (et encore..) de suivre le parcours de ces jeunes hommes .
    Merci pour votre travail.

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