Iclon et Blosseville (1222-1255) : histoires de patronages

La proximité géographique et une histoire commune entre Blosseville et Iclon incitent à évoquer dans un même article le patronage des deux églises dans la première moitié du XIII ème siècle.

Commune de Blosseville en haut à G, hameau d’Iclon (commune d’Angiens) en bas à D.
Source IGN « Remonter le temps » (2011-2015).

Le droit de patronage1Guy Devailly. Les patronats d’église en Normandie au XIII et XIV ème siècles. Cahier des annales de Normandie, numéro 23, 1990, 351-359, accessible via Persée.consistait notamment à présenter un candidat ecclésiastique (présenter à la cure) pour desservir une église ou une chapelle. L’évêque2Sauf les dites exemptions qui étaient au nombre de six dans le diocèse de Rouen, dont l’exemption de l’abbaye de Fécamp qui comprenait des chapelles, prieurés et vingt-huit paroisses, telles par exemple, Manneville, Notre Dame de la Gaillarde, St Martin de Veules. Charles de Beaurepaire : ADSM. Inventaire-Sommaire des archives départementales antérieures à 1790 : série G. Archives ecclésiastiques,1868, p. 4. accessible en ligne.décidait alors d’accepter ce candidat et de lui donner l’investiture. Le patron avait des charges comme l’entretien de l’église mais en contrepartie levait des redevances dont le montant pouvaient excéder les dites charges. Ce patronage3L’historique et l’évolution du droit de patronage sont détaillées dans David Houard (1725-1802). Dictionnaire analytique, historique, étymologique, critique et interprétatif de la Coutume de Normandie, Tome 3, 1781, cf., p., 432-451. En particulier, pour l’époque qui nous importe, la charte adressée aux évêques de Normandie en 1208 (cf., p., 434). pouvait être exercé par un ecclésiastique (abbé, évêque, prieur) ou par un laïc qui était un seigneur possédant un fief assis sur le territoire de la paroisse. Ces deux situations sont illustrées par l’église d’Iclon dont le patron était le vicomte de Blosseville alors que l’église de Blosseville avait pour patron l’abbé de Fécamp.

« Le but principal des nomenclatures, désignées sous le nom de Pouillés6Charles de Beaurepaire : op. cit, p. 4. était de faire connaître précisément ceux qui pouvaient exercer le droit de patronage ». 

Le premier Pouillé du diocèse de Rouen, dit d’Eude Rigaud est conservé à la Bibliothèque Nationale (manuscrit latin 11052 et supplément latin 678)7Accessible via Gallica et Biblissima..Il a été rédigé au temps de Pierre de Collemezzo8Vincent Tabbag. Fasti Ecclesiae Gallicanae, Tome 2. Diocèse de Rouen : Répertoire prosopographique des évêques, dignitaires et chanoines des diocèses de France de 1200 à 1500, Brepols, Turnhout, 1998. p., 84-86/447. ADSM 262.12. TAB(Pierre de Colmieu)9Francois Pommeray : Histoire des archevesques de Rouen, Laurent Maurry, Rouen, 1667, cf., Eloge de Pierre Colmieu p., 461-468., archevêque de Rouen de 1236 à 124410Fait cardinal d’Albano par Innocent IV, il garda des liens avec Rouen, créa un collège de la cathédrale de Rouen en 1245 : ainsi son nom fut donné à la cour d’Albane. puis a été augmenté sous les pontificats d’Eude Rigaud (1248-1275) et Guillaume de Flavacourt (1278-1306). Ce Pouillé énumère les églises et les chapelles les plus importantes avec indication du patron de chacune d’elles et pour la plupart des églises paroissiales, le nom du prêtre et de l’archevêque qui lui donna l’investiture11Auguste Longnon. Pouillés Tome II. Pouillés de la province de Rouen. Paris, 1903., Introduction p I-II..

Ce Pouillé fournit deux nombres pour chaque paroisse, permettant une estimation de leur importance relative. Le premier, suivant le mot » Valet » (Valeur) est le bénéfice annuel attendu par le diocèse. Le second est le compte de « Parrochiani », non pas le nombre de paroissiens, mais de chefs de maison, ou nombre de feux de chaque paroisse12Léopold Delisle. Etudes sur la condition de la classe agricole et l’état de l’agriculture en Normandie au moyen-âge. Société libre d’agriculture, sciences arts et belles lettres de l’Eure. 1903, Paris H. Champion, cf.,p., 172. Le mot parrochiani est interprété comme chef de maison : l’autorité ecclésiastique avait intérêt à connaitre ce nombre, puisque la perception de plusieurs droits, tel la débite reposait sur la connaissance de ce nombre..

Richard, prêtre reçu à Iclon entre 1222 et 1229

Pouillé d’Eude Rigaud. Manuscrit latin 11052, extrait du folio 72 v., vue 152/244. Gallica.

Ecclesiæ de Ycquelont vicecomes de Blossevilla patronus. Valet XII l. Parrochiani XXIIII. Ricardus presbiter, præsentatus a dicto patrono, receptus ab archiepiscopo Theobaldo (Edition de L. Delisle, 1894, lignes en gras).

Eglise d’Iclon, patron le vicomte de Blosseville. Valeur : 12 livres. Chefs de maison = 23. Richard, prêtre, présenté par le dit patron, reçu par l’archevêque Thibaut.

Thibaut d’Amiens13 Pommeray, op. cit., Eloge de Thibaut d’Amiens, cf., p., 445-453.fut archevêque de septembre 1222 à septembre 1229, permettant de situer la réception de Richard entre ces dates. Le Pouillé ne cite pas le nom du vicomte mais nous connaissons en 1226 une donation faite par Guillaume vicomte de Blosseville dont le premier témoin est d’ailleurs un Richard d’Iclon.

Le prêtre d’Iclon et sa progéniture : février 1249 (n.s.)

Le journal des visites pastorales14Journal des visites pastorales (1248-1269) d’Eude Rigaud archevêque de Rouen, publié d’après le manuscrit de la Bibliothèque Nationale par Théodose Bonnin en 1852 est de la main même d’Eude Rigaud, l’archevêque qui, à partir de juillet 1248 jusqu’en 1269, visita avec méthode les doyennés ruraux et les établissements de son diocèse. Il réunissait tous les curés d’un doyenné en une même assemblée et y faisait une enquête sévère sur chacun d’eux. Six prêtres étaient investis des fonctions de jurés pour dénoncer les désordres qui étaient imputés à leurs confrères. Chaque jour, Eude Rigaud consignait ainsi en détail ce qu’il avait constaté, à la fois  l’état des revenus et des dépenses des établissements mais aussi tous les comportements des individus. Ce registre, écrit pour lui-même, était partie intégrante de sa mission visant à « rétablir la discipline dans les établissements qui scandalisaient le monde par leurs désordres »15Léopold Delisle fit une synthèse des différents faits et délits relatés in Le clergé normand au treizième siècle, d’après le journal des visites pastorales : Bibliothèque de l’école des chartes. 1847, tome 8. cf., p., 479-499, accessible via Persée.

En 1249, Eude Rigaud écrivit dans son Journal16Journal des visites pastorales, op. cit., p. 29-30.l’appréciation suivante : « Presbyter de Iquelont tenet secum, ut dicitur, prolem suam », « On dit que le prêtre d’Iclon garde sa progéniture avec lui ». A titre d’exemple, parmi d’autres cas, une appréciation semblable concernait le prêtre d’Ouville. Bonnin rapporte à ce sujet que le concile provincial tenu à Rouen en 1445 allait spécifier « que les prêtres ne devaient pas avoir d’enfants illégitimes dans leur maison et qu’ils ne devaient pas être servis par ces enfants dans l’église ».

Ce prêtre en 1249, père de plusieurs enfants, pourrait être Richard reçu à Iclon avant 1229 ou un autre, au prénom inconnu, auquel aurait succédé Robert.

Robert, ordonné diacre à Iclon en 1255

Dans le manuscrit original (ci-dessus), il existe un ajout d’une seconde main à la limite de la visibilité « Archiepiscopus Odo Rigaudi receptit Robertum presbiterum, ad præsentationem dominæ de Yquelont » (Edition de L. Delisle, 1894) : Archevêque Eude Rigaud reçut Robert (3 ème ligne, deuxième mot ), prêtre, à la présentation du seigneur d’Iclon. Ce Robert est celui qui est listé (cf., ci-dessous) parmi les clercs ordonnés diacres (dyaconi) par Eude en 125517Journal des visites pastorales, op. cit., page 676 et original via Biblissima, latin 1245, folio 148 verso, vue 153/398..

1255 « Robertus, ad titulum vicecomitis de Blossevilla » : Robert, au titre du vicomte de Blosseville.
Ordination par Eude Rigaud, archevêque de Rouen, de Robert, diacre de l’église d’Iclon, dont le vicomte de Blosseville était le patron. Journal des visites pastorales : Biblissima, latin 1245, folio 148 v, vue 153/398.

Le vicomte de Blosseville, à cette date pourrait être Guillaume de Blosseville dont nous connaissons l’existence par un acte de 1267, fils de celui cité du temps de Richard (cf. ci-dessus).

Pouillé d’Eude Rigaud. Manuscrit  11052, extrait du folio 73 r., vue 153/244. Gallica.

« Ecclesiæ de Blossevilla  abbas Fiscannensis patronus. Valet L I.. Parrochiani C. Persona Radulphus, præsentatus a dicto abbate, receptus ab archiepiscopo Petro » (Edition de L. Delisle, 1894).

Eglise de Blosseville, patron l’abbé de Fécamp. Valeur : 50 livres. Chefs de maison = 100. Personne, Raoul, présenté par le dit abbé, reçu par l’archevêque Pierre.

Raoul est qualifié de « persona », « personne ». Que signifie le mot persona, personne ? En considérant dans ce Pouillé, l’ensemble des citations associées aux églises du doyenné de Canville (au sein de l’archidiaconé du Petit Caux) auquel appartient l’église de Blosseville, la répartition des qualificatifs est « personna » = 3 ; « clerus » = 3 ; « sans qualificatif » = 9 ; «  magister »  = 11 ; « presbyter » = 37. Selon Bonnin18Journal des visites pastorales, op.cit., note 8 de Théodose Bonnin, p. 30/879.le curé « presbyter » avait « cure d’âmes » et exerçait  son ministère dans une paroisse alors que la personne «  persona », jouissait des bénéfices attachés à la cure sans en remplir les devoirs, soit parce ce qu’elle avait été nommée avant d’avoir atteint l’âge de son ordination, soit parce qu’elle ne voulait ou ne pouvait obtenir ce sacrement. A défaut d’autre information concernant ce Raoul, rien ne permet de trancher entre ces deux hypothèses.

L’abbé de Fécamp à cette date était Guillaume de Vaspail19Leroux de Lincy. Essai historique et littéraire sur l’abbaye de Fécamp. Rouen, Edouard Frère, ed. 1890, cf., p. 228-229 et 299-302/430. : élu vers 1228, il mourut à Fécamp le 15 mai 1259.

Pierre de Collemezzo, fut l’archevêque de Rouen de 1236 à 1244, permettant de situer entre ces deux dates la réception de Raoul à Blosseville. A noter toutefois, qu’en mai 1241, Pierre de Collemezzo et Guillaume de Vaspail, alors qu’ils étaient embarqués sur des galères de Gènes pour se rendre à Rome à l’appel de Grégoire IX furent capturés par un fils naturel de Frédéric II, puis retenus prisonniers à Naples. Pierre de Collemezzzo fut libéré en 1243.

Le nombre de cent chefs de maisons devait regrouper à cette époque la quasi totalité des maisons ou feux20Selon Longnon, op. cit., ces chiffres de chefs de maison sont cohérents avec le compte de la débite payée en 1431, en l’occurrence, 12 sols, 6 deniers pour Blosseville, 25 deniers pour Iclon, qui était la redevance payée au diocèse par chaque paroisse, p. 89-90/ 602.  soit plus de quatre fois qu’à Iclon, mais nous ignorons le multiplicateur à appliquer pour estimer le nombre total d’habitants de la paroisse.

Le vicomte de Blosseville n’est pas nommé dans ce Pouillé : il peut s’agir de Guillaume de Blosseville, vicomte en 1228 ou son fils (cf-ci dessus).

La paroisse de Blosseville n’apparaît pas dans les notes du Journal d’Eude Rigaud qui ne concernent que quinze paroisses parmi les cinquante-trois du diaconé de Canville.

Ce Pouillé du diocèse de Rouen est probablement le document le plus ancien décrivant la population de la paroisse de Blosseville (100 chefs de maison). Grâce à ce Pouillé et au Journal des visites pastorales, nous connaissons les prénoms d’ecclésiastiques présents au XIII ème siècle dans ces deux églises. Ces prêtres ont dû tout particulièrement admirer ces arcatures de l’église de Blosseville, que nous pouvons encore voir aujourd’hui au collatéral nord et sur le clocher.

Références

  • 1
    Guy Devailly. Les patronats d’église en Normandie au XIII et XIV ème siècles. Cahier des annales de Normandie, numéro 23, 1990, 351-359, accessible via Persée.
  • 2
    Sauf les dites exemptions qui étaient au nombre de six dans le diocèse de Rouen, dont l’exemption de l’abbaye de Fécamp qui comprenait des chapelles, prieurés et vingt-huit paroisses, telles par exemple, Manneville, Notre Dame de la Gaillarde, St Martin de Veules. Charles de Beaurepaire : ADSM. Inventaire-Sommaire des archives départementales antérieures à 1790 : série G. Archives ecclésiastiques,1868, p. 4. accessible en ligne.
  • 3
    L’historique et l’évolution du droit de patronage sont détaillées dans David Houard (1725-1802). Dictionnaire analytique, historique, étymologique, critique et interprétatif de la Coutume de Normandie, Tome 3, 1781, cf., p., 432-451. En particulier, pour l’époque qui nous importe, la charte adressée aux évêques de Normandie en 1208 (cf., p., 434).
  • 4
    Polyptycum = Pouillé. Pouillé, pueille, s. f. registre, journal grand livre, in Frédéric Godefroy (1826-1897). Dictionnaire de l’ancienne langue française et de tous ses dialectes du IX è au XV è siècle, Tome VI, Réimpression par Slatkine, 1982.
  • 5
    Polyptycum rotomagensis diocesis (pp 229-331) in Rerum gallicarum et franciparum scriptores. Recueil des historiens des gaules et de la France.Tome 23, par De Wailly, Delisle et Jourdain. Nouvelle édition sous la direction de L. Delisle, 1894. Paris, H. Welter Ed, via Gallica, cf., p. 293.
  • 6
    Charles de Beaurepaire : op. cit, p. 4.
  • 7
    Accessible via Gallica et Biblissima.
  • 8
    Vincent Tabbag. Fasti Ecclesiae Gallicanae, Tome 2. Diocèse de Rouen : Répertoire prosopographique des évêques, dignitaires et chanoines des diocèses de France de 1200 à 1500, Brepols, Turnhout, 1998. p., 84-86/447. ADSM 262.12. TAB
  • 9
    Francois Pommeray : Histoire des archevesques de Rouen, Laurent Maurry, Rouen, 1667, cf., Eloge de Pierre Colmieu p., 461-468.
  • 10
    Fait cardinal d’Albano par Innocent IV, il garda des liens avec Rouen, créa un collège de la cathédrale de Rouen en 1245 : ainsi son nom fut donné à la cour d’Albane. 
  • 11
    Auguste Longnon. Pouillés Tome II. Pouillés de la province de Rouen. Paris, 1903., Introduction p I-II.
  • 12
    Léopold Delisle. Etudes sur la condition de la classe agricole et l’état de l’agriculture en Normandie au moyen-âge. Société libre d’agriculture, sciences arts et belles lettres de l’Eure. 1903, Paris H. Champion, cf.,p., 172. Le mot parrochiani est interprété comme chef de maison : l’autorité ecclésiastique avait intérêt à connaitre ce nombre, puisque la perception de plusieurs droits, tel la débite reposait sur la connaissance de ce nombre.
  • 13
     Pommeray, op. cit., Eloge de Thibaut d’Amiens, cf., p., 445-453.
  • 14
    Journal des visites pastorales (1248-1269) d’Eude Rigaud archevêque de Rouen, publié d’après le manuscrit de la Bibliothèque Nationale par Théodose Bonnin en 1852
  • 15
    Léopold Delisle fit une synthèse des différents faits et délits relatés in Le clergé normand au treizième siècle, d’après le journal des visites pastorales : Bibliothèque de l’école des chartes. 1847, tome 8. cf., p., 479-499, accessible via Persée
  • 16
    Journal des visites pastorales, op. cit., p. 29-30.
  • 17
    Journal des visites pastorales, op. cit., page 676 et original via Biblissima, latin 1245, folio 148 verso, vue 153/398.
  • 18
    Journal des visites pastorales, op.cit., note 8 de Théodose Bonnin, p. 30/879.
  • 19
    Leroux de Lincy. Essai historique et littéraire sur l’abbaye de Fécamp. Rouen, Edouard Frère, ed. 1890, cf., p. 228-229 et 299-302/430.
  • 20
    Selon Longnon, op. cit., ces chiffres de chefs de maison sont cohérents avec le compte de la débite payée en 1431, en l’occurrence, 12 sols, 6 deniers pour Blosseville, 25 deniers pour Iclon, qui était la redevance payée au diocèse par chaque paroisse, p. 89-90/ 602.

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